J’emprunte à l’ouvrage collectif ; “Le territoire des philosophes”, “Lieu et espace dans la pensée au XX ème siècle” dirigé par Thierry Paquot et Chris Younès aux éditions de La Découverte (juin 2009), parmi les très nombreuses contributions celle de Jean-Jacques Wunenburger ( Professeur à Lyon III), sous le titre de : “Gaston Bachelard et la topoanalyse poétique”.
Gaston Bachelard [1884-1962] n’a cessé de chercher à comprendre les deux rapports fondamentaux de l’homme au monde, celui régi par l’abstraction scientifique et celui ouvert par la rêverie poétique. Par chacun de ces modes d’expression la pensée rencontre un monde qui se déploie dans l’espace et obéit à une succession temporelle, mais selon des modalités contraires. Le concept scientifique, contrôlé par l’expérience, construit une représentation mathématique d’un objet opposé à toutes les images projectives, l’image poétique, au contraire, vise à dévoiler un monde au-delà des dualités sujet-objet, intérieur et extérieur. Sil’espace et le temps se trouvent pris en charge par des représentations abstraites dans les sciences, ils resurgissent dans l’imagination rêveuse mêlés d’images inconscientes, d’affects puissants (de bonheur ou d’angoisse), et d’expressions verbales poétiques qui leur confèrent une puissance de métamorphose existentielle. Autant la première voie permet de construire des représentations objectives et partagées par une communauté scientifique, autant la seconde voie permet, dans la solitude de chacun, de toucher à l’être profond des choses à partir de leur présence.
Heuristique & Sémiologique
Deux rapports au Monde et à sa Connaissance.
La “Tour des Langues et du Babel Amoureux”
Né en 1936, Claude Hagège est professeur au Collège de France. Il s’est révélé au grand public dans l’émission “Apostrophe” de Pivot grâce à “L’homme.de Paroles” et prouva que la linguistique était attrayante quand elle n’était pas enseignée par les cuistres Il maîtrise, en tout, une cinquantaine de langues. c’est un ardent défenseur de la langue française, il prône le plurilinguisme . Selon ce polyglotte, la multiplication des langues n’est pas un châtiment divin, mais une chance: «La dispersion n’est autre, face au mythe de l’unicité par lequel l’humain se dissout dans la transcendance du néant, que l‘avènement de l’histoire ( voire d’une Pentecôte !?). Elle est le symbole même du somptueux message de l’espèce humaine à l’univers : “nous te saturons par notre occupation universelle de tous tes plis, nous te mettons en vocables par l’infinie diversité de nos langues dispersées” Si certains reprochent à la Langue Française son passé et son rôle à l’époque coloniale alors qu’ elle est une chance pour la diversité linguistique, Claude Hagége nous conjure de réapprendre l’amour du français; mais il ne manque pas de célébrer la Langue et les langues dans son livre récent : le “Dictionnaire amoureux des Langues” (éditions Plon – Odile Jacob).
“Comme tout dictionnaire, celui-ci ne requiert pas de lecture d’un bout à l’autre : ll est inspiré par l”amour des langues qui est peut-être un des aspects de l’amour des gens”.
Transduction, percolation, propagation, transmission
La Transduction est la Transformation d’une grandeur physique ou d’une énergie en une autre qui est fonction de la première. Selon le TLF le mot “transduction” appartenait essentiellement au domaine de la psychologie :. “Mode de raisonnement de l’enfant qui précède l’induction et la déduction et par lequel il tire une conclusion par analogie, par identité, par différence. Gilbert Simondon, le philosophe de la technique, a élargi ce champ, dans le domaine du Savoir : “La Transduction définit la démarche même de l’invention qui n’est ni déductive ni inductive mais transductive, c’est-à-dire qui correspond à une découverte des dimensions selon laquelle une problématique peut être définie; elle est l’opération analogique dans ce qu’elle a de valide ». La Transduction “tente de dépasser la contradiction, qu’induit la logique inductive / déductive qui met à distance, par la prise en compte de tous les éléments et événements qui se propagent de proche en proche, dans la singularité d’une situation”.
Quand je lis Gilbert Simondon, dans “L’individu et sa genèse physico-biologique, PUF, 1964, nous dire : “Nous entendons par transduction une opération, physique, biologique, mentale, sociale, par laquelle une activité se propage de proche en proche à l’intérieur d’un domaine, en fondant cette propagation sur une structuration du domaine opérée de place en place : chaque région de structure constituée sert à la région suivante de principe de constitution...” j’ai l’impression de lire une définition de la percolation tant le choix du mot “transduction” dans la définition que je donne, (page d’accueil de ce site) se révéle pertinent ! Cela dit, je connaissais le mot depuis très longtemps dans le champ de l’électricité et de l”électronique; On peut nuancer ce rapprochement : si duction comme colation désigne le mouvement, les deux fermes diffèrent par leur préfixe : “per” impose un sens, une direction “à travers” alors que “trans” suggère “l’échange, la réciprocité et du coup l’omnidirectionnel. On peut se référer à la différence entre transfusion et perfusion mais ils se retrouvent dans la notion de ” propagation”, de “transfert” celui-là tenant plus du canal et celui-ci du canalisé ? !
Hiéroglyphe auriculaire et mathématique
Il y a 6 ans, environ, dans la collection : “Science ouverte” les éditions du “Seuil” ont proposé un ouvrage de Nicolas Bouleau (mathématicien et architecte): “La règle, le compas et le divan.plaisirs et passions mathématiques“, dont l’une des ambitions est de dégager les ancrages des sciences dans la psychologie du sujet et la socialité du langage. De l’humain en mathématiques il y en a en plus qu’on ne croit ; du plaisir, de la frustration, et de l’inconscient beaucoup !
On comprend la pertinence de la règle, du compas et du divan dessinés sur la 1ère page de couverture, Ce qui étonne un peu, c’est la présence, comme un patient en analyse, d’un gros point d’interrogation (un peu larvaire !) lové presque vautré sur le divan..J’ai pensé que là était le lieu de la “question” ! !
Il y a quelques jours je relisais “Le Passage du Nord-Ouest, Hermès V “ de Michel Serres et particulièrement les chapitres relatifs à l’épistémologie de l’écriture et des sciences, thèmes récurrents et toujours passionnants chez ce philosophe, (l’un de ceux que je préfère). La percolation des hiéroglyphes et de l’alphabet, lorsque Solon, Thalès, Pythagore arrivent en Égypte, c’est le heurt d’un système quasi algébrique et d’un système quasi géométrique ! Il fallait alphabétiser un hiéroglyphe ! ! Difficile ! demandez à Champollion ! Nous nous sommes déjà, dans le Percolateur, intéressés à quelques points de résistance du hiéroglyphique face au phonograhique. L’esperluette, l’arobase, la lettre X,...Je découvre par hasard que notre point d’interrogation se révèle être, un résidu, un reliquat, un relief de la prégnance hiéroglyphique. Notre point d’interrogation est une oreille dessinée, à la fin d’une question, un graphe qui ponctue une interrogation et s’ouvre à une attente, une écoute, une attention !
Il me paraît intéressant , voire amusant (sous cet angle) de constater que Nicolas Bouleau, mathématicien, homme du calcul, du nombre et architecte, homme de la cognition et du trait place son ouvrage sous le signe de l’auriculaire, et s’en remette au dessin de l’oreille, graphe de l’écoute… paradoxe hiéroglyphique..
Le Grillon, Francheville près de Lyon (une utopie).
Je vous propose le texte-préface que j’ai écrit en 2000 pour le livre édité en célébration du 30ème anniversaire de la Résidence “Le Grillon”. Cet ouvrage, d’ une écriture collaboratrice, coopérative comme le furent la construction, l’aménagement et l’animation, de cet ensemble de 314 (100 π, disions-nous ) logements, illustre cette expérience qui a beaucoup compté pour ceux qui l’ont vécue. Ce fut une belle aventure humaine, elle est aussi, pour nous, emblématique d’une époque riche de solidarité créative. Un air du temps. On voudra bien voir dans cette citation plus qu’une trace, une empreinte nostalgique.
Au commencement était la glaise, la glèbe et la boue. L’air du temps vibrait encore de la tempête de 68. Des femmes, des hommes vinrent en ce lieu où chante le grillet pour l’habiter et y vivre. ils ont construit, bâti, utilisant le statut « coopératif» en le prenant au pied de la lettre, en explorant toutes ses potentialités, en le dépouillant de son formalisme mercantile. Les mots: participation, responsabilité, prirent tout leur sens sans gravité idéologique, ni rigidité d’expérience. L’efficacité de cette prise en charge fut exemplaire, grâce à la mobilisation de toutes les .compétences (nombreuses et diverses) et à un volontarisme à toute épreuve. Dans cette « création d’un cadre de vie » l’Utopie perdit son initiale et le Grillon y gagna une majuscule ! !
Une évidence s’imposa rapidement à ces « fondateurs» : il fallait donner vie à ce lieu, non pas une sorte d’identité (un repli autarcique favorisé par cette insularité cadastrale dans l’archipel Franchevillois de 1970) mais une vie jaillissante, rayonnante, voire exubérante.
La gestion de l’habitat, son amélioration répondent à des besoins et à des intérêts;son animation, à des aspirations. Là, droits, devoirs ,concertation organisée, ici, rencontres, spontanéité, créativité. Et partout solidarité, circulation des idées et « l’imagination au pouvoir ».
L’« animation» n’impose pas, elle propose, elle suscite, encourage, fédère les initiatives individuelles dans le respecf scrupuleux de la liberté de chacun et du coup elle démontre que « le tout est plus grand que la somme des parties ».
Le Grillon a ses lieux mythiques: la tour A, la clairière, les terrains de jeux… et ses rites. La Fête annuelle, par exemple, est un événement emblématique de l’ animation, le point focal où convergent et se cristallisent toutes les initiatives, manifestation de cette joie partagée qui sous-tend toute l’action socio-culturelle.
Grillon nous invite aujourd’hui à une balade buissonnière dans le temps (30ans) et l’espace (nous traboulons au travers de l’alphabet tourmenté des tours Tours et des Barres) et aussi à une« ballade» car, vous verrez la poésie est toujours proche (entomologistes et poètes s’accordent pour souligner que le grillon chante« près du foyer» dont il apprécie la chaleur). Cette déambulation peut apparaître comme nostalgique (le temps passe) mais elle est surtout jubilatoire. Elle est un hommage à tous ceux qui ont fait et font le Grillon. Elle est “transmission” et «célébration» de« l’esprit du lieu », un lieu qui nous habite tous»: Le Grillon.
NB1 Ce texte a été écrit en 2000, le Grillon avait 30 ans. Aux dernières nouvelles, il se porte bien, j’y ai encore de nombreux amis.
NB2 Le Grillon, c’est l’anti cyber-utopie ! ! ! ! !
Métaphore ou le changement du porteur de sens.
La longue tradition rhétorique grecque s’est employée à cantonner la métaphore dans une fonction ornementale, celle-ci est désormais un objet scientifique à part entière. L’engouement qu’elle suscite depuis quelques années, s’est traduit par une multiplication des écrits qui révèle, par ailleurs, une difficulté à situer le phénomène et à délimiter les territoires cognitifs qu’il recouvre exactement. La métaphore autorise, semble-t-il, ce moment privilégié de conscience où tout cloisonnement information-nel entre imagerie et sémantique est rendu caduc. C’est ainsi qu’a pu se développer un hiatus entre chercheurs issus de diverses disciplines (philosophie, linguistique, sciences de l’information et de la communication, psychologie, psychanalyse…) où chacun définit “ses” métaphores, comme outils certes mais parfois aussi comme armes. Sokal et Bricmont (Impostures intellectuelles) ont violemment attaqué la “philosophie française” en confondant peut-être un mot avec une idée ? Jacques Bouveresse dans un excellent livre : “Prodiges et vertiges de l’analogie” (éd, Raisons d’agir) s’inscrit dans la même perspective; (rappelons sa violente attaque contre Régis Debray et son utilisation du théorème de Gödel ! ! ) Parfois certains ont distingué le philosophe littéraire du philosophe scientifique, réservant le beau-parler, la privauté au premier le sérieux, la rigueur au second. Où classer Serres, Heidegger …..??
Je ne suis ni un savant, ni un poête. De formation scientifique je m’intéresse à tout ( à l’instar de Paul Valéry, toute proportion respectée ! !).Il semble que la métaphore puisse, au-delà du cosmétique, avoir un rôle pédagogique parce qu’elle nomme et désigne (linguistique, sémiologique), parce qu’elle représente et parfois modélise, suppléant le lexique défaillant et une créativité trop à l’étroit). Il est courant qu’un chercheur modélise une entité complexe, construise un objet intermédiaire entre une théorie et une réalité particulièrement abstraite.
Le principal souci est de dégager la métaphore du détail linguistique pour en extraire le raisonnement. Langues et cultures ne font pas obstacle à cette entreprise du fait que les locuteurs ont en partage une identité corporelle (la métaphore “donner une idée” nous enseigne que nous assimilons inconsciemment les pensées à des objets, la percolation se réfère à l’écoulement du temps avec la rétention et les réservoirs de la mémoire, et les obstacles dans le couloir…). A la lumière de ce modèle qui envisage l’organisation des connaissances abstraites sous forme de réseaux sémantiques dont les nœuds donnent corps aux concepts, la lecture d’une métaphore pourrait se concevoir comme l’activation en parallèle de différentes occurrences du lexique mental, de manière continue et diffuse, jusqu’à trouver un point d’intersection. et de compréhension métaphorique et analogique donc de construction épistémologique de la connaissance.
Religion du logiciel.
Libération de ce jour (23/ 07/ 08) consacre 3 pages “été” à la fameuse querelle des deux chapelles informatiques qui dure depuis 30 ans, MAC / PC et à leurs guides : Steve Jobs et Bill Gate. Dans l’article l’auteur fait réference à Umberto Eco. Le choix de ce Sémioticien, de sa plume, de son humour m’ont comblé à tel point que je n’ai pu résister à l’envie de vous faire partager ces lignes de plaisir !
Une nouvelle guerre de religions modifie subrepticement notre, monde. contemporain J’en suis convaincu depuis longtemps, et lorsque j’évoque cette idée, je m’aperçois qu’elle recueille aussitôt, un consensus.
Ceci n’a pu vous échapper, le monde est aujourd’hui divisé en deux : d’un côté les partisans du Macintosh, de l’autre ceux : du PC sous Ms-Dos. Eh bien, je suis intimement persuadé que le Mac est catholique et le Dos protestant. Je, dirais même plus. le Mac est catholique contre-réformateur,empreint de la «ratio studiorum» des jésuites. Il est convivial, amical, conciliant, il explique pas à pas au fidèle la marche à suivre pour atteindre, sinon le royaume des cieux, du moins l’instant final de l’impression du document. . Il est catéchistique, l’essence de la révélationest résolue en formules compréhensibles et en icônes’ somptueuses. Tout. le monde a droit au salut.
Le Dos est protestant, voire carrément caIviniste. Il prévoit une libre interprétation des Écritures, requiert des décisions tourmentées; impose une herméneutique subtile, garantit que ‘le” salut .” n’est pas à la portée de tous. Faire marcher ‘le système nécessite un ensemble d’actes personnels interprétatifs du logiciel : seul, loin de la communauté baroque des joyeux drilles, l’utilisateur est enfermé dans son obsession intérieure.
On m’objectera que l’arrivée de Windows a rapproché l’univers du Dos de la tolérance contre-réformatrice du Mac. Rien de plus exact. Windows constitue un schisme de type anglican ; de somptueuses cérémonies au sein des cathédrales, mais toujours la possibilité de revenir au Dos afin de modifier un tas de choses en se fondant sur d’étranges décisions: tout compte fait, les femmes et les gays pourront accéder au sacerdoce.
Naturellement, catholicisme et protestantisme des deux svstèmes n’ont rien à voir .avec les positions culturelles et religieuses des usagers. ,Cela dIt, il est légItime de se demander si à la longue, au fil du temps, l’emploi d’un système plutôt que d’un autre ne cause pas de profondes modifications intérieures. Peut-on vraiment être à la fois adepte du. Dos et catholique traditionallste? Par ailleurs,Céline aurait-il écrit avec Word, WordPerfect ou Wordstar? Enfin Descartes aurait-il programmé en Pascal?
Et le langage machine, qui décide de notre destin en sous-main et pour n’importe.quel environnement.? Eh bien, cela relève de l’Ancien Testament, du Talmud et de la Cabale. Ah, encore. et toujours le lobby juif !
“Comment voyager avec un saumon” Umberto Eco