Au-delà de la métaphore pratique et auto-suffisante, le processus que je désigne par “percolation”, simultanément sujet et objet d’intérêt voire de recherches, engendre un modèle heuristique mécanico-physico-chimique complexe (complexus = ce qui est tissé ensemble) qui représente non directement la « pensée », mais le fonctionnement de l’esprit,. non directement la connaissance mais son approche, non directement l’être mais sa consistance.
Il y a là comme une modélisation des processus mentaux, épistémologiques, ontologiques de construction, de production, d’une activation “componentielle”, Si l’exponentiel expose sa variable le componentiel est susceptible de composer (et avec) ses éléments et d’établir entre eux et avec eux des relations inédites en un tissage surprenant. Nous nous trouvons confrontés, à un travail artisanal tendant à devenir le plus souvent, avec l’évolution des techniques, à un travail de tressage, de maillage, ou comme au cinéma à un travail de montage, de mixage, de synchronisation, Ce sont chaque fois à de minuscules liaisons auxquelles il convient de procéder tel l’artisan, tant en ébénisterie, en marqueterie, en céramique, en verrerie, en orfèvrerie, en joaillerie, en imprimerie (la reliure consiste à assembler les pages d’un livre), en scénographie, en dramaturgie ainsi que dans toutes les formes de textualité (recherche de liens entre les mots, les phrases, les idées) …Quête d’articulations susceptibles de s’effectuer dans la rencontre du divers et du discontinu. Il peut s’agir de jointure, de suture, de couture, de soudure, de bouture, de greffe, d’un travail d’attache, de charnière, de ligature, de collage, de patchwork, d’assemblage. C’est une activité arthrologique de texture, de texte, de tissu, de tissage, qui peut concerner aussi bien les alliances que les alliages. Composition, mélange, la complexité comme une sorte d’alchlmle qui se fonde sur l’intersection parfois provocatrice.
Nous avons montré, dans ces pages, à propos de l’esperluette (&) considérée comme l’hiéroglyphe opératoire de la relation et la composition, ce qui la distinguait du “et” de l’addition et de la simple juxtaposition.
Heuristique & Sémiologique
Complexité du tissage.
Inventio.
J’avais, quand j’étais étudiant, coutume de dire : “quand je n’arrive pas à résoudre un problème je me couche et m’endors avec lui, je suis sûr de me réveiller le lendemain matin avec la solution ! ” ( A noter que je ne fixais pas un objectif trop prégnant, Je dois avouer que si la question était particulièrement ardue, je prenais le risque d’une nuit blanche ! ). Phénomène que d ‘aucuns qualifient de “moi inconscient” voire de “moi subliminal”.
La lucidité matinale est souvent surprenante. Au cours du sommeil, des éléments épars dans l’esprit, des expériences anciennes, des connaissances reléguées parce que (hâtivement) jugées sans intérêt,.. s’associent, se classent spontanément; Il convient au réveil, sans insistance excessive d’extraire l’idée native parfois un peu brute Le repos n’est pas vraiment créateur, il est restaurateur, combineur, éclaircisseur, catalyseur d’une chimie parfois étonnante, il provoque des rencontres et des rapprochements d’idées.
Poincaré accorde une place centrale à l’inconscient: «Ce qui frappe tout d’abord, ce sont ces apparences d’illumination subite, signes manifestes d’un long travail inconscient antérieur; le rôle de ce travail inconscient dans l’invention mathématique me paraît incontestable. Poincaré considère l’inconscient comme réellement créatif. Le “moi inconscient” ou, comme on dit, le moi subliminal, joue un rôle capital dans l’invention mathématique, Poincaré privilégiera la dimension psychologique de l’invention n’hésitant pas à prendre une position, surprenante pour un scientifique de sa réputation, qui se. rapproche des vues que défendra Jacques Lacan : “Le moi subliminal” n’est pas purement automatique, il est capable de discernement, il a du tact, de la délicatesse; il sait choisir, il sait deviner. Que dis-je, il sait mieux deviner que le “moi” “L’inconscient mathématicien” ! !
Valéry,(autorisé par son immense culture encyclopédique) remarque à de nombreuses reprises que pousser jusqu’au bout une idée c’est risquer de la détruire, et qu’il y a souvent gain pour l’esprit dans la pensée prise dans son surgissement et suspendue dans sa fulgurance. Telle semble d’ailleurs être la façon dont Valéry lit et met à profit ses lectures, qu’il prétend toujours lacunaires, partielles et qu’il restitue régulièrement sous la fragmentation de citations parodiques. Une “percolecture” effective et efficiente!!!
Percolexique n°2
Percolexique N°2
PER
Le préfixe PER est emprunté au préfixe latin per, qui a servi à construire des mots savants dans lesquels, outre le sens de « à travers » et « pendant », il peut introduire l’idée d’intensité et d’excès
1 – PER a une valeur spatiale : perfolié, perlingual, percutané ( Qui se fait à travers la peau)….
2 – PER a une valeur temporelle. signifie « de bout en bout, de part en part » comme dans : peropératoire qui doit se produire pendant toute durée de l’opération.
Ces deux dimensions de ce préfixe nous intéressent dans le Percolateur dans le mot comme dans la fonction.
Notons parmi les innombrables mots formés avec ce préfixe : perspicace, perception, pérégrination, persister, percuter, perdurer, pérenniser, perpétuer, pertinent, perturber, … qui ne sont pas éloignés du domaine percolateur ! Le rapprochement avec le préfixe “trans” est souvent possible.
COULER
“Du latin “colare”, passer, filirer. Se déplacer, se mouvoir naturellement (par gravité), ou sous l’effet d’une autre force, pression par couloir, colateur ou percolateur. Il faut ici faire référence à “ce qui coule” les liquides certes mais aussi les solides fragmentés, le sable, la neige, le pulvérulent… aux couloirs d’avalanches et aux coulée de boue…! Le vocabulaire des fluides et de leur dynamique intéresse la percolation : flux, fluence, confluence, influence, porosité, étanchéité, hermétisme, infusion, perfusion, les bassins de rétention,… ainsi que le lexique de la “duction”, production, induction, introduction, déduction, transduction, traduction …, Le clepsydre et le sablier nous rappelleront toujours que le flux déterminant est le TEMPS.
PERCOLER, PERCOLATION, PERCOLATEUR. (Extension métaphorique)
✱Le percolateur pour Littré est un appareil qui sert à filtrer.
✱Pour Le Robert : Percoler c’est circuler au travers d’une substance (20 ème siècle) vient de “percolare, percolateur”
✱TLF : Percolation Circulation d’un fluide à travers une substance par la pression.
Pour Noëlle Batt ( TLE Université de Vincennes) : “La percolation dans son acception générale et ancienne ‘ implique qu’une substance en traverse une autre et en ressort ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. C’est une opération d’intimité, discrète mais avérée. On ne peut la nier. Le résultat se voit. Les qualités de la substance d’arrivée participent à la fois de celles de la substance de départ et de ce qu’elle a traversé. Hybride donc”.
Ainsi en est-il de la pensée dont la progression souvent latérale est l’occasion de percolation, plus comme composition, complexification, contamination que comme mélange ou simple addition. Certains spécialistes des sciences et technologies de la cognition ont évoqué, s’agissant de ces passages et échanges la notion de “fédération”, d’interférence, de nomadisme de concepts , de phénomènes de collaboration, de coopération, d’insémination, d’hybridation… Il est des génétiques forcément modifiées. ! ! !
On peut, me semble-t-il, la voie métaphorique étant ouverte donner une dimension épistémologique et ontologique à la percolation. Le concept d’habitus développé par Bourdieu peut s’approcher à cet éclairage. L’habitus est constitué en effet par l’ensemble des dispositions, schèmes d’action ou de perception que l’individu acquiert à travers son expérience sociale. Par sa socialisation, puis par sa trajectoire sociale, tout individu incorpore (percolation) lentement un ensemble de manières de penser, sentir et agir, qui se révèlent durables. Et l’HISTOIRE, d’une façon générale et son parcours heurté, mais aussi la TRANSMISSION.
Dans un “Percolexique n° 3” nous jouerons avec le mot “Percolation”
Avez-vous lu le Percolexique N°1
Composition et transmission
La “percolation” à la croisée de l’antécédent et du contexte, de l’arobase transmetteuse et de l’esperluette coordinatrice sous le signe de la mémoire numérique.
L’expert et la compétence, quête de pertinence.
Je suis entrain de lire l’ouvrage (passionnant) de Michel Puech, «Homo sapiens technologicus» (ed Le Pommier) Dans la première partie du livre l’auteur (un professeur de philosophie) s’est doté d’un solide outillage conceptuel qu’il utilise maintenant pour titiller la Société là où elle croit ne pas avoir mal puisqu’elle se confie à la complaisance.
Au coeur des dossiers prétendument « techniques» et administrativement inextricables prospère le petit monde des experts. À la différence du citoyen, anonyme, qui peut être n’importe qui et qui est tout le monde, les experts ne sont pas n’importe qui ni tout le monde. Ils forment l’une des nomenclatures de la société technocratique. Car ce sont toujours les mêmes qui courent de comité en comité, professionnels de l’ évaluation, dans les mondes universitaire, administratif, technique, médical… Être expert est une carrière qui assure l’accès à une nomenclature technocratique, moyennant le même savoir-faire que dans tout autre emploi: faire ce que l’employeur attend, ne pas le contrarier.
La catastrophe technocratique consiste en la simple désuétude du politique, c’ est-à-dire en cela que le pouvoir politique n’est pas exercé, que le politique est laissé vacant, que le devenir matériel de nos collectifs est laissé au seul jeu de l’économie politique. Alors surgit l’expert, qui, au nom de la science, permet de ne pas faire d’évaluation critique des technologies. L’expertise est exactement le contraire de l’évaluation démocratique des technologies. Les rapports d’ expert sont l’engluement institutionnel caractéristique qui étouffe les velléités de démocratie technologique. L’expert n’est pas là pour effectuer un choix ni pour l’ « éclairer» : il est là pour «cautionner».
L’expertise se meut dans un cercle vicieux : il faut être déjà très engagé dans la pratique de cette technologie…Les experts ont un intérêt matériel direct dans les technologies qu’ils évaluent. Est-ce une fatalité de la «scientifisation» de la société ? Non , c’est simplement l’oubli des conditions de base de la rationalité scientifique et de la démocratie (cf Karl Popper). L’évaluation critique par des non-compétents est le mécanisme même de la démocratie et il est très étroitement apparenté au mécanisme de «réfutation» caractéristique de la science.