Le Percolateur

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Heuristique & Sémiologique

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Eloge de la fioriture

Author : Gilbert — 4 May 2005

ELOGE DE LA FIORITURE

“Comme un beau cadre ajoute à la peinture

Bien qu’elle soit d’un pinceau très vanté

Je ne sais quoi d’étrange et d’enchanté

En l’isolant de l’immense nature.

Ainsi bijoux, meubles, métaux, dorure,

S’adaptaient juste à sa rare beauté ;

Rien n’offusquait sa parfaite clarté

Et tout semblait lui servir de bordure.”

Dans le sonnet “Le Cadre”, Baudelaire, assigne au cadre le rôle de bordure, qui isole” et distingue le tableau et lui “ajoute de l’enchanté”. Il “n’offusque pas” (ne ternit pas) à travers cette litote l’auteur dit bien que le cadre “ajoute” de l’éclat.

Il en est ainsi de la fioriture. Il n’y a pas de fioriture en soi, elle n’est jamais essentielle, mais elle touche l’essentiel qui est son “objet”. Elle est une “célébration”, une parure et non l’apparence. Elle ne divertit pas elle est médiatrice. Elle n’est pas spectacle mais “invitation” voire «initiation ». Elle est la ritournelle, territorialisante et consistante telle que la définit Deleuze dans : « Mille plateaux ».

La fioriture c’est le masque du drame antique (porte-voix et illustration expressive des personnages) c’est aussi l’enluminure, la lettrine, la vignette des textes anciens, le blason, le velin de la reliure, la miniature. Il y a dans la fioriture le drapé d’une tenture, la transparence d’un voile, la lumière rasante sur le moiré du satin. Il y a du travail d’orfèvre, de la dentelle et de la broderie. Il y a aussi l’arpège, le fredon et l’appogiature. Il y a le rinceau, la feuille d’acanthe et l’astragale. Il y a les volutes de la calligraphie arabe et le trait de l’idéographie orientale. Il y a aussi l’éloquence et les figures de rhétorique, le grain de la voix et celui du papier. Il y a le cérémonial, la mise en scène … et la cathédrale.

La fioriture n’est pas un art mineur. Là, le flacon importe à l’ivresse et le jardin chante la demeure qu’il entoure. La fioriture est peut être tout simplement, un art de la séduction. Elle peut être sobre sans être pauvre, de cette sobriété qui est de la richesse épurée celle de l’autel ou de la scène modernes. Elle peut être exubérante de la profusion baroque de ce lyrisme qui se garde du clinquant. Préférons le bijou au colifichet et tordons, s’il le faut, le cou à “l’éloquence”. Il ne s’agit ni “d’en jeter” ni “de frimer”, la fioriture sait s’effacer être discrète, en tout cas en “harmonie” avec l’objet qu’elle « montre ». La fioriture requiert de son artisan, de son artiste un goût sûr, un savoir faire affirmé, une grande sensibilité, une intelligence passionnée de son objet … et l’humilité. Un geste qui souligne la parole, discrètement.

Qui n’a connu cette étrange volupté au murmure hésitant du coupe-papier ouvrant les pages d’un livre non-massicoté ! La frise sur le linteau !

Ecritures et mathématiques

Author : Gilbert — 4 May 2005

Extrait de « LE PASSAGE DU NORD-OUEST » (HERMES V)

de Michel Serres aux Editions de Minuit 1981.

ECRITURES ET MATHEMATIQUES

“…. bien des histoires rapportent que les Grecs passaient la mer pour aller s’instruire en Egypte. Démocrite le dit, on le dit de Thalès, Platon l’écrit dans le Timée. Il y a même eu, et comme d’habitude, deux écoles aux prises sur la question. L’une tenait les Grecs pour les instituteurs de la géométrie, l’autre tenait pour tels les harpénodaptes. Cette dispute fit oublier l’essentiel : que les Egyptiens écrivaient en idéogrammes et les Grecs par un alphabet. La communi­cation entre les deux cultures est pensable dans le rapport entre ces deux signalétiques. Or il est, justement, le même que celui qui sépare et unit, dans la géométrie, figures et diagrammes d’une part, écriture algébrique de l’autre. Le carré, le triangle, le cercle et les autres figures sont‑elles ce qui reste, en Grèce, des hiéroglyphes ? Que je sache, ce sont des idéogrammes. D’où la solution : le rapport historique de la Grèce à l’Egypte est pensable dans le rapport d’un alphabet à un ensemble d’idéogrammes, et, comme il ne saurait y avoir de géométrie sans écriture, que la mathéma­tique est écrite plutôt que parlée, ce rapport se trouve reconduit dans la géométrie comme travail à double graphie. Voilà un passage aisé entre ladite lange naturelle et la nouvelle langue, passage praticable à la multiple condition de considérer deux langues différentes, deux écritures diffé­rentes, et leurs communs rapports. Et cela résout en retour la question historique : l’arrêt brutal de la géométrie en Egypte, son gel, sa cristallisation dans les idéogrammes fixes, et l’irrépressible développement de la nouvelle langue, en Grèce comme chez nous, cet inépuisable discours de la mathématique et de la rigueur qui est son histoire même. Le rapport inaugural de l’idéogramme géométrique à l’alphabet, mots et phrases, ouvre un chemin sans borne……”

Consistance de la nation française

Author : Gilbert — 4 May 2005

Titre que je donne à quelques extraits de : « Regards sur le monde actuel » de Paul Valéry. (1931)

…….. , une carte où les mouvements de peuples seraient figurés comme le sont les déplacements aériens sur les cartes météorologiques, ferait apparaître le territoire français comme une aire où les courants humains se sont portés, mêlés, neutralisés et apaisés, par la fusion progressive et l’enchevêtrement de leurs tourbillons……

….La France a trouvé son individualité singulière dans le phénomène complexe des échanges internes, des alliances individuelles qui se sont produits en elle entre tant de sangs et de complexions différents.

…A cause des sangs très disparates qu’elle a reçus, et dont elle a composé, en quelques siècles, une personnalité européenne si nette et si complète, productrice d’une culture et d’un esprit caractéristique, la nation française fait songer à un arbre greffé plusieurs fois, de qui la qualité et la saveur de ses fruits résultent d’une heureuse alliance de sucs et de sèves très divers concourant à une même et indivisible existence.

Oui, mais heureux

Author : Gilbert — 3 May 2005

Oui, Mais Heureux.

J’ai rencontré un homme heureux…et il m’a laissé ce sourire en souvenir.

Son bonheur ne tenait à pas grand-chose.

Vous savez ces petits riens tout simple qui nous font tant plaisir ?

Et bien, un moment qu’il rappelle à chaque instant, c’est sa vie…

Regardez (x)…vous avez « entenvu » ? Non, je n’ai rien fait de spécial (x)…, et pourtant vous vous souviendrez de ce claquement de doigts volants.

Cet homme cultivait ces instants de bonheur. Ils lui en poussaient pleins la tête. Ils fleurissaient, et un beau jour, ils éclataient le long de sa nuque, frissonnaient entre ses deux omoplates, filent-et-fusaient dans ses bras-coudes-mains-bouts-des-doigts et (x) se métamorphosaient en papillonnants dans le vent passant.

Juste devant ! Là ! Hop ! (x) Un instant !

Les instants de cet homme voletaient parfois au gré de leurs inspirations, mais il ne les laissait jamais échapper, des fois qu’ils disparaissent ou se perdent dans l’inattention.

Ecoutez, cela vaut le coup d’œil (x)………………………………………………

………………………………Attrapez-le, cela se prête à volonté…(x)……..

………………………………………………………………………………

……………………………………………………

Cet homme, je l’ai connu dans ses dernières heures, lui qui aimait tant les dernières heures, celles de la nuit, celles du jour, celles qui durent toujours…

Vous savez, beaucoup trop de gens sont trop fiers et trop sûrs de ce qu’ils connaissent.

Ce qui change un tant soit peu leur ordinaire les surprend tellement (x) qu’ils emploient leurs idées à se construire des remparts. Quiconque y entre n’a plus l’occasion d’en sortir, et surtout pas le propriétaire.

Donc, ces personnes voulant se défendre contre cette arme inoffensive qu’était cet homme heureux, ont décrété que ce comportement (x) ne pouvait être que l’œuvre d’un fou.

Et vous aimeriez peut-être me demander : « Mais qu’est-ce qu’un fou ? »… Demandez-leur, à ces personnes…Nous devenons tous fous derrière nos remparts.

Même des « spécialistes » du comportement heureux ont essayé. Ils ont dit :

« Il est fou hou hou ! C’est normal ! Il n’y a qu’une seule et unique solution pour qu’il redevienne malheureux…heu…comme tout le monde ! Une seule et une unique solution :

IN TER DIC TION !!!!!!!!! »

Ils ont réussi. Je l’ai vu, cet homme, à travers les meurtrières de mes remparts.

Il était là, attaché et bâillonné, les mains dans le dos d’une chaise. Aucun des deux ne bougeaient. Il est mort après que j’ai lu dans ses yeux la folie du désespoir de voir ses instants fanés pour l’éternité.

Ses mains étaient simplement attachées.

(x) : sifflement d’oiseau, celui qu’on peut faire.

Chacun trouvera dans ce texte, je l’espère, le désir de s’attarder, un peu, chaque jour, sur une beauté insignifiante de la vie.

Cet homme a su entretenir son étonnement d’enfant, sa curiosité enjouée et des manières simples et gratuites de se combler de joie, offertes sans compter par la nature et ses beautés.

Le bonheur est affaire de chaque jour, fait d’une multitude de petits bonheurs et non d’une grande fortune ni d’une grande gloire. La joie est si éphémère qu’on ne peut se contenter d’une seule grande, trop longue à acquérir et si vite passée qu’on en est déjà lassée.

Notre nez aveugle ce qui est sous nos yeux. Souvent il s’y trouvait ce dont nous avions réellement besoin, et rien d’extraordinaire de plus qu’un petit brin de vie.

Florent TURPIN

Percollage n°2

Author : Gilbert — 28 Mar 2005

percolage 2

Le grand combat

Author : Gilbert — 4 Mar 2005

Extrait de : « Qui je fus »(Gallimard 1927) de Henri MICHAUX

Le Grand combat

Il l’emparouille et l’endosque contre terre;

Il le rague et le roupète jusqu’à son drâle;

Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais

Il le tocarde et le marmine,

Le manage rape à ri et ripe à ra.

Enfin il l’ecorcobalisse.

l’autre hésite, s’espudrine, se défaisse, se torse et se ruine

C’en sera bientôt fini de lui ;

Il se reprise et s’emmargine… mais en vain.

le cerceau tombe qui a tant roulé.

Abrah ! Abrah ! Abrah !

Le pied a failli !

le bras a cassé !

le sang a coulé !

Fouille, fouille, fouille,

Dans la marmite de son ventre est un grand secret.

Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;

On s’étonne, on s’étonne, on s’étonne

Et vous regarde,

On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret

Transmettre

Author : Gilbert — 4 Mar 2005

Extrait de : « TRANSMETTRE » de Régis DEBRAY (éd. Odile Jacob. 1997)

Que j’intitule : « Trace, outil de la mémoire et de l’évolution »

Un naturaliste a pu observer que nous étions la seule espèce animale capable d’influencer son évolution. Ce que nous sommes en effet, nous ne le sommes pas une fois pour toutes parce que nous ajoutons chaque jour un nouveau patrimoine non héréditaire à l’autre ‑ capable de rétroagir sur lui, comme on le voit avec l’ingénierie du vivant et les « manipulations génétiques ». Le transfert d’information codée dans les gènes, assuré à travers la chaîne reproductive des organismes, se poursuit mais par des voies non naturelles et au programme génétique du vivant en général, le vivant humain ajoute la prothèse technique. « La vie, observe Georges Canguilhem, fait depuis toujours sans écriture, bien avant l’écriture et sans rapport avec l’écriture, ce que l’humanité a recherché par le dessin, la gravure, l’écriture et l’imprimerie, savoir, la transmission de messages. » La vie propose une mnémochimie, la culture, une mnémotechnique, prolongement de la première par d’autres moyens. Ces ressources artificielles font un ressort commun à la constitution d’un savoir comme au déclenchement d’une histoire; l’agent d’un devenir et le producteur de connaissance ont eu l’un et l’autre besoin de ces suppléments de mémoire rajoutés au bagage biologique, dont l’écriture a été la plus notable. « Verba volant, scripta manent. » Des peuples sans écriture, ne dit‑on pas ordinairement qu’ils n’ont pas d’histoire ? « La différence entre l’histoire humaine et l’histoire naturelle, observait jadis Vico, c’est que nous avons fait la première mais pas la seconde. »

Observons à présent par quels outils se fait la différence.

« Méditer sans traces devient évanescent », constate Mallarmé. Géométrie ? Perdurance des figures d’Euclide. Christianisme ? Perdurance des paroles d’évangile. Peinture ? Perdurance de traits et pigments. La trace, par son insistance, transmue le souvenir individuel en souvenir social. Savoir, c’est se souvenir, rappelle l’esclave géomètre du Ménon. Faire ne l’est pas moins. Faire la révolution, en partie, c’est vouloir répéter les révolutions passées : révolutionnaire parce que conservateur. Nous avons tous lu que « les hommes font l’histoire mais ils ne la font pas librement, dans des conditions choisies par eux mais dans des conditions directement données, léguées par la tradition » (Karl Marx). Cette « tradition des générations mortes » que l’auteur du 18 Brumaire présentait comme une entrave « pesant comme un cauchemar sur le cerveau des vivants » s’est avérée depuis comme sa piste d’envol: pas seulement ce qui tire en arrière mais ce qui porte l’humanité en avant. Chacun sait que les subversions sont l’oeuvre des bons élèves et qu’avec les fidélités s’épanouissent les valeurs de rupture: une société qui ne se reconnaît plus d’ancêtres peut tirer un trait sur son futur. Encore faut-il que les actes ne s’évanouissent pas avec les vies, que les paroles survivent aux voix ‑ et les postulats d’Euclide à l’irrigation du cerveau d’Euclide. L’humanité se cuisine un avenir avec des restes ‑ glyphes, traits ou marques. Pierres gravées, rouleaux, stèles. Le préhistorien a besoin de documents osseux, et l’historien de documents tout courts (même si, la survivance d’un passé n’équivalant pas à sa connaissance, l’histoire comme science n’est pas simple mémoire mais critique de la mémoire). Pour le passage à l’humanitude comme éducation permanente de soi, la trace est stratégique. La diffusion à distance (alphabet, livre, audiovisuel) est secondaire par rapport à la fixation : si la première peut faire changer de civilisation, la seconde engendre rien de moins que la civilisation, soit le transport, éclairant l’avenir, d’un passé dans un présent.

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