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Heuristique & Sémiologique

 

Plus nous chaut le sens que le signe.

Filed under: Verbe,Webzette n°16 — Author : — 12 Aug 2007 —

Plus nous chaut le sens que le signe.

Bernard Stiegler excelle dans l’exploitation des mots, de leur origine, leur histoire, leur contamination, leur perversion, leur ambiguïté ; une sorte de jeu sur la langue, mais un jeu créatif, catalyseur conceptuel. “Une nouvelle société industrielle doit être pensée, selon un autre modèle industriel, qui repose sur une socialisation des technologies dans la mesure où celle-ci saura cultiver à nouveau un otium du peuple ” On devine là l’allusion ( ! ) d’autant que dans la page précédente BS évoque le”pharmakon” drogue et remède de Platon, et l’addiction ! L’opium n’est pas loin ! Normal, comment traiter de la société industrielle sans penser à Marx, à l’évoquer sans l’invoquer ?
Les Romains, imitant en cela les Grecs, divisaient la vie en deux parties. Ils appelaient la première otium. Ce mot qu’il convient de traduire par loisir ne signifie toutefois pas absence de travail, mais temps libre, ouvert, occasion de s’occuper de ce qui est proprement humain: la vie publique, les sciences, les arts (tel que le préconise Sénèque). La seconde zone, caractérisée par les efforts nécessaires à la satisfaction des besoins vitaux —( et pour rendre ainsi possible l’otium )— les Romains l’appelaient negotium (nec, otium), indiquant par là, le caractère négatif de ces activités par rapport à celles qui portent sur les choses proprement humaines. Notre mot négoce est issu de negotium. Le mot otium conviendrait à une partie de ces loisirs: voyages culturels, lecture, action sociale, etc.; à l’autre partie, aux loisirs organisés, c’est le mot negotium qui conviendrait; ce sont des activités calquées sur le travail. Ici l’échange, le troc négocié, là le don, la gratuité, (le “hard” et le “soft”, “speed” et “cool” au dire de certains !). L’enrichissement n’est pas de même nature, le profit non plus. Le mot “négoce” se définit négativement, par “ce qu’il n’est pas”, son domaine n’est pas celui du loisir, de la disponibilité, Son sens, jadis, était celui de commerce (au sens actuel d’échange marchand) il s’est élargi de nos jours à la notion de transaction internationale à “très gros chiffre d’affaire” ! Quant à négocier, au delà de l’univers économique et marchand, le verbe étend ses notions de rapport de force, de stratégie, de dialogue, de discussion, de concession au débat social, politique, de la psychosociologie du groupe à la diplomatie internationale. Une de ses postures déterminantes est dans la façon d’aborder un obstacle, une difficulté, ce qui a donné métaphoriquement l’expression : “négocier un virage ou un bon accord” ! Comme si négocier en se socialisant avait pris du recul et négligé une partie du “neg” au profit de l’otium. Du négociant au négociateur !
Commerce et négoce, les deux mots, en notre temps, sont pratiquement synonymes à la différence de dimension et d’amplitude près,les deux appartiennent au domaine de la relation (essentiellement marchande, mais pas exclusivement), de l’échange.
L’étymologie de commerce lui confère une sorte de double destinée : com (du latin cum avec, en relation, en commun) et mercis (marchandises en latin ) Dans son sens usuel (économique) le commerce c’est l’activité qui consiste à échanger, vendre ou acheter, des marchandises, des produits, des valeurs, …ici on insiste sur le “mercis”, le “negotium “. Dans son usage archaïque, littéraire on insiste sur le “cum et l’otium”, là dans le domaine de la vie sociale on évoque le commerce comme relation sociale, amicale ou affective, fréquentation et partage entre plusieurs personnes . Dans le domaine de la vie intellectuelle, le commerce est l’échange d’idées, Proust parle de “tenir commerce d’intelligence et fines causeries …”, cela dit, on passe aussi du salon au boudoir et l’on chuchote le “commerce charnel” ou l’amour mercantile ! !
La notion d‘intérêt est ici déterminante avec son ambiguïté, c’est l’intérêt qui est le moteur de la relation, du commerce et qui en définit le domaine. Je veux gagner de l’argent, faire une bonne affaire , je suis intéressé et je fais du commerce, negotium. Je suis passionné par les discussions, la conversation, les autres et leurs idées m’intéressent nous faisons commerce, échange de points de vue et d’opinions, otium.
N’est-il pas oiseux (de otium, car inutile ! ) de s’intéresser tel un chaland à ce commerce des mots alors que la nonchalance nous ouvre loisir et oisiveté. “Oisiveté surtout, peu nous chaut” !

NOTE : Chaloir : Verbe défectif impersonnel = importer, intéresser.
Emplois en forme négative ou interrogative.
Ex : Il ne nous chaut.. = il ne nous importe, cela ne nous intéresse pas…

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