L’ASTÉRISQUE, ( * )…en considération.
Nous avons eu l’occasion d’évoquer dans ces colonnes les signes typographiques, l’esperluette et l’arobase. Ces signes issus de la calligraphie manuelle sont un peu comme des hiéroglyphes grâce à leur expressivité et leur idéographie. Ils ont aussi une fonction grammaticale, ils se lisent et se prononcent comme des lettres dûment estampillées ayant leur place dans l’alphabet, la phrase, la casse du typographe et le clavier de la machine.
L’astérisque (étoile) est un signe graphique (non-littéral), imprimé ou manuscrit, en forme d’étoile (*) pouvant prendre plusieurs valeurs conventionnelles (polysémie). Il peut indiquer, avant ou après un mot, une lacune, une forme hypothétique, les notes ou additions qu’un auteur fait dans son ouvrage, renvoyer à une définition, un éclaircissement ou toute autre information convenue, séparer des paragraphes… L’astérisque comme joker et facilitateur !
La littérature contemporaine fréquente peu ce caractère qui lui paraît extra-littéraire et qu’on ne voit guère mentionné dans la table des signes de ponctuation, bien qu’il soit omniprésent sur le clavier, généralement à gauche de la touche [Entrée] et en haut du pavé numérique ! La littérature mondaine du XIXe siècle goûtait assez le camouflage pudique des noms de personnalités par une séquence de trois astérisques (Les fredaines la Duchesse de ***). A noter que, récemment, les éditions du Seuil ont proposé au philosophe François Jullien de répondre à l’un de ses détracteurs dans une collection: “Réplique à*** “. La dispute est violente et l’auteur dès la première phrase de sa réponse fait fi de la retenue étoilée de l’éditeur ! La réplique est destinée ! Jean-François Billeter est “à découvert”. A noter que l’astérisque “pipole” ne demande qu’à déchirer le voile qu’il jette !
A peine ai-je terminé cette petite histoire de l’astérisque que je découvre un livre de Daniel Heller-Roazen, qui vient d’être édité par Le Seuil (Collection : La Librairie du XXI ème siècle) : “Echolalies, essai sur l’oubli des langues” ? Un Livre très savant écrit par un Savant linguiste, et…. passionnant ! Pour essayer d’être simple et si possible fidèle on peut dire que la linguistique au XIX ème et au XX ème siècle considère (au fait n’y a-t-il pas de l’astérisque dans ce mot ? ! ) s’agissant de la philologie, de l’étymologie, de l’histoire des langues, de leurs mots et de leur grammaire, que dans toute langue on trouve des traces d’une langue antérieure, mais à l’origine la langue-mère n’existe pas, elle n’a pas de langue antérieure, elle ne peut -être attestée, elle n’est matrice d’une descendance que parce qu’elle a une consistance mais pas d’existence. Si vous apprenez que l’indo-européen a été parlé, signalez-le tout de suite à un savant, vous venez de découvrir un cataclysme, un désastre (!) qui détruit l’édifice de nos langues !! C’est l’astérisque (*) qui désigne, distingue, identifie cette origine, la *langue, et ses descendants, ses issus. Au risque du paradoxe :
“Dans la science moderne de la syntaxe, l’énoncé marqué d’un astérisque confirme, par sa fausseté même, le protocole d’une vérification proprement empirique. En tant qu’énoncé strictement impossible, il contribue à l’établissement des principes qui, de toute nécessité, doivent régir une grammaire. Mais l’impératif scientifique demeure inchangé: il faut en appeler à des formes de langage inexistantes pour expliquer des langues qui, elles, existent bel et bien. Ainsi, l’étoile brille à nouveau. Il semblerait que l’on ne puisse observer le détail d’une langue qu’à la lumière d’une autre, dont les formes, immémoriales ou inconcevables, sont toujours à inventer. Seule la petite étoile permet de naviguer sur les océans d’une langue unique. Repère imaginaire et pourtant lumineux, l’astérisque dissipe par son éclat ces ombres qui ne cessent d’enténébrer une langue, et sans lesquelles aucune ne serait ce qu’elle est.”
Notes :
–1) “écholalie” : répétition automatique de mots prononcés par autrui, relève de la psychologie ; ce terme est utilisé par l’auteur de l’essai, loin de l’acception médicale jusqu’à se fondre avec le concept de langage. “Chaque langue est l’écho de ce babil enfantin dont l’effacement a permis la parole”. Et, quelle promotion pour l’astérisque ! !
-2) “astérisque”: du grec asteriskos “petite étoile”, de l’IE *ster, par le latin, aster.