Je suis entrain de lire l’ouvrage (passionnant) de Michel Puech, «Homo sapiens technologicus» (ed Le Pommier) Dans la première partie du livre l’auteur (un professeur de philosophie) s’est doté d’un solide outillage conceptuel qu’il utilise maintenant pour titiller la Société là où elle croit ne pas avoir mal puisqu’elle se confie à la complaisance.
Au coeur des dossiers prétendument « techniques» et administrativement inextricables prospère le petit monde des experts. À la différence du citoyen, anonyme, qui peut être n’importe qui et qui est tout le monde, les experts ne sont pas n’importe qui ni tout le monde. Ils forment l’une des nomenclatures de la société technocratique. Car ce sont toujours les mêmes qui courent de comité en comité, professionnels de l’ évaluation, dans les mondes universitaire, administratif, technique, médical… Être expert est une carrière qui assure l’accès à une nomenclature technocratique, moyennant le même savoir-faire que dans tout autre emploi: faire ce que l’employeur attend, ne pas le contrarier.
La catastrophe technocratique consiste en la simple désuétude du politique, c’ est-à-dire en cela que le pouvoir politique n’est pas exercé, que le politique est laissé vacant, que le devenir matériel de nos collectifs est laissé au seul jeu de l’économie politique. Alors surgit l’expert, qui, au nom de la science, permet de ne pas faire d’évaluation critique des technologies. L’expertise est exactement le contraire de l’évaluation démocratique des technologies. Les rapports d’ expert sont l’engluement institutionnel caractéristique qui étouffe les velléités de démocratie technologique. L’expert n’est pas là pour effectuer un choix ni pour l’ « éclairer» : il est là pour «cautionner».
L’expertise se meut dans un cercle vicieux : il faut être déjà très engagé dans la pratique de cette technologie…Les experts ont un intérêt matériel direct dans les technologies qu’ils évaluent. Est-ce une fatalité de la «scientifisation» de la société ? Non , c’est simplement l’oubli des conditions de base de la rationalité scientifique et de la démocratie (cf Karl Popper). L’évaluation critique par des non-compétents est le mécanisme même de la démocratie et il est très étroitement apparenté au mécanisme de «réfutation» caractéristique de la science.
Heuristique & Sémiologique
L’expert et la compétence, quête de pertinence.
Percolation culturelle, l’obstacle de la langue.
Dans son ouvrage “Aristote au Mont Saint-Michel” (Le Seuil), l’Universitaire Sylvain Gouguenheim nous parle de la Transmission de ses buts, de ses obstacles, de son outil le langage, de la Percolation donc.
Pour une civilisation, hériter de l’univers culturel et scientifique d’une autre civilisation suppose une communauté de langue, ou un immense effort de traduction. Or il ne suffit pas de traduire pour s’approprier une pensée étrangère: il faut encore que la traduction permette la transposition non seulement du sens des mots mais des structures de la pensée afin que, par la suite, ces structures demeurent fécondes même transplantées dans un autre univers linguistique. Dans le cas du transfert du grec à l’arabe, l’une des plus grandes difficultés pour les traducteurs résidait dans le passage d’une langue sémitique à une langue indo-européenne,et réciproquement. L’obstacle était plus redoutable que celui de l’absence d’un vocabulaire approprié dans l’une des langues car il oblige à se heurter à la syntaxe et à la morphologie des systèmes linguistiques en présence, eux-mêmes constitutifs de certains schémas mentaux d’expression et de représentation. Notamment, dans une langue sémitique, le sens jaillit de l’intérieur des mots, de leurs assonances et de leurs résonances, alors que dans une langue indo-européenne, il viendra d’abord de l’agencement de la phrase, de sa structure
grammaticale. Cette distinction s’avérera essentielle pour la philosophie. Ce n’est pas un hasard si, à l’époque précédant l’Islam, la péninsule arabique fut une terre de poètes et de poétesses. Par sa structure, la langue arabe se prête en effet magnifiquement à la poésie: chaque mot y est composé à partir d’une racine de trois consonnes, que l’on peut compléter à l’aide d’autres consonnes et de trois voyelles. Ce système facilite les répétitions de sons, procure des effets d’harmonique, amplifiés par le rythme que. produit un système consonantique de fortes et de faibles. La langue arabe est une langue de religion, au sens étymologique du terme: elle relie, et ce d’autant plus que, au système des temps indo-européen (passé, présent, futur) elle oppose celui des aspects (accompli, inaccompli) qui facilite l’arrimage aux sources. En somme les différences entre les deux systèmes linguistiques sont telles qu’elles défient presque toute traduction, tant le signifié risque de changer de sens en passant d’une langue à l’autre.
Qu’est-ce que la médiologie ? de Régis Debray.
“Élucider les mystères et paradoxes de la transmission culturelle – tel est le but de la médiologie.On s’efforce de comprendre comment une rupture dans nos méthodes de transmission et de transport suscite une mutation dans les mentalités et les comportements et, à l’inverse, comment une tradition culturelle suscite, assimile ou modifie une innovation technique.Le regard, plus généralement, porte sur les interactions technique/culture, au carrefour des formes dites supérieures de la vie sociale (religion, art, politique) et des aspects les plus humbles de la vie matérielle (usuels, banals, triviaux).La médiologie n’est pas une doctrine, ni une morale. Encore moins une «nouvelle science». C’est avant tout une méthode d’analyse, pour comprendre le transfert dans la durée d’une information (transmission). Non un domaine spécial de connaissance (comme l’est la sociologie des médias) mais, plus largement, un mode original de connaissance, consistant à rapporter un phénomène historique aux médiations, institutionnelles et pratiques, qui l’ont rendu possible. On se conduit en médiologue chaque fois qu’on tire au jour les corrélations unissant un corpus symbolique (une religion, une doctrine, un genre artistique, une discipline, etc.), une forme d’organisation collective (une église, un parti, une école, une académie) et un système technique de communication (saisie, archivage et circulation des traces). Ou, plus simplement, quand on met en ligne un dire, la façon de le dire et qui tient à le redire.Nombreux et multinationaux sont les défricheurs et précurseurs du champ médiologique entendu comme l’exploration du monde symbolique par le biais logistique : Victor Hugo («ceci tuera cela»), Walter Benjamin, Valéry, McLuhan, Walter Ong, etc. La médiologie s’efforce de donner cohérence, intelligibilité et prolongements aux intuitions des grands pionniers, pour contribuer à ce qui pourrait un jour ressembler à une écologie de la culture”. (Autorisation, Régis Debray).
Désordre créateur, point de vue d’un “manager”
…Il a le cerveau en feu, le manager, quand son esprit divague ainsi et fait des aller-retours entre les vices et les vertus de l’ordre et du désordre. Mais comment peut-il faire pour expliquer à ses équipes qu’elles doivent respecter les règles jusqu’à la moindre virgule quand lui-même est convaincu que le désordre de son bureau l’oblige à une veille permanente et salutaire ?
Comment peut il convaincre ces collaborateurs de s’engager sur des méthodes reconnues et efficaces basées sur l’ordre et le rangement (5S en milieu industriel par exemple), en ayant la crainte permanente d’appauvrir le potentiel créatif de son organisation ?
Comment peut-il promouvoir ces méthodes, véritables chemins tracés sans ignorer la richesse des voies détournées ?
Pourquoi ne rien laisser au hasard alors que le hasard est source de progrès, de nouveauté, d’évolution ?
Il se souvient, le manager, de ses lointains cours de mécanique des fluides où le professeur faisait remarquer avec malice que le régime turbulent est beaucoup plus efficace dans les échanges thermiques avec l’extérieur que le pauvre régime laminaire…
Le manager doit mettre en place une organisation apprenante, culturellement tournée vers le changement, capable d’auto-organisation. Il doit en être le régulateur, pas l’ordonnateur.
L’ordre c’est la contrainte, les directives, la hiérarchie, la routine, l’ennui, l’inertie, le contrôle, la certitude, les normes et finalement l’assoupissement.
Le désordre c’est la rapidité, les turbulences, la nouveauté, le changement, l’imprévu, le renouvellement, les risques, le doute, l’autonomie, la liberté, et finalement le progrès.
Opposer ces deux notions est stérile, le manager vient de réaliser que son rôle est de gérer ce mélange subtil d’ordre et de désordre, mélange qu’on appelle complexité…
Le manager sourit, le triste état de son bureau lui a encore inspiré des idées nouvelles…
Rédigé le 03/11/2007 à 17:35 dans Le management.
Extrait du site du Manager “L’INDÉLOCALISABLE”
André Gorz et Dorine sont partis.
André Gorz et Dorine sont partis.
André Gorz et sa femme Dorine se sont suicidés. La survie de l’un ou de l’autre leur apparaissait inacceptable. Hier (24/9/2007), sur la porte, un message “prévenir la gendarmerie“, ils reposaient côte à côte. Il avait 84 ans et elle, 83 ans. Depuis le 23 octobre 1947 ils ne se sont jamais quittés. Pendant soixante ans, elle a été présente auprès de lui. Présence décisive, si l’ŒUVRE du philosophe ne porte qu’un nom, ce fut celui d’un couple, le fruit d’un long dialogue. Depuis sa rencontre avec Sartre en 1946 jusqu’à “L’immatériel’ (Galilée 2003), André Gorz s’est attaché “à intégrer à la philosophie morale et existentielle, une dimension sociologique et économique”. En septembre 2006 il a publié son dernier livre : “Lettres à D. Histoire d’un amour.” (Galilée) qu’il a “écrit en pleurant”, disant la passion et la reconnaissance qu’il avait pour Dorine. Belle Histoire.
La langue fuyante
La langue fuyante.
Dans son livre, “Echolalies, essai sur l’oubli des langues” (Seuil, 2007) Daniel Heller-Roazen, en une quinzaine de textes, savants mais d’une lecture très agréable, nous propose une étude sur le le début et la fin indiscernables des langues dont l’évolution et les variations sont continuelles. A preuve sa référence à Montaigne et à la langue fuyante de ses “Essais” :
“J’ escris mon livre à peu d’hommes et à peu d’années”, note-t-il dans ” De la Vanité“. «Si c’eust esté une matiere de durée, il l’eust fallu commettre à un langage plus ferme. Selon la variation cçntinuelle qui a suivy le nostre jusques à. cette heure, qui peut esperer que sa forme presente soit en usage, d’icy à cinquante ans ? Il s’escoule tous les jours de nos mains et depuis que je vis s’est alteré de moitié. Nous disons qu’il est à cette heure parfaite. Autant en dict du sien chaque siecle. Je n’ay garde de l’en tenir là tant qu’il fuira et se difformera comme il faict »
Pour une théorie du choix
Je ne résiste pas à l’idée de vous proposer ce texte de Paul Valéry (Création artistique – 1928) :
“Il faudrait faire une théorie du choix et je ne suis pas capable de le faire. J’estime que le choix est proche parent de l’invention, et que la différence se réduit peut-être à celle du simple et du complèxe. Il y a choix, il n’y a que choix quand l’ensemble des possibles est un ensemble d’objets simples ou éléments définis par une seule qualité, que l’on peut rapporter à une gamme, comme les couleurs. Dans ce cas, nous cherchons à nous placer dans un état tel que notre décision soit automatique; nous cherchons à nous trouver une sorte de tropisme. Mais si les objets sont très complexes, il se fera un effort en nous pour construire l’état parfois inaccessible qui devrait aboutir à nous faire émettre, à tirer de nous une décision aussi immédiate que la précédente. Cet effort est semi-conscient, et il est invention.