A PROPOS DU BREF.
Soyez court vous serez meilleur. « Trop long » écrit en rouge dans la marge de la copie de l’écolier, trop long le discours, la conférence, l’homélie, les bonnes histoires
( dont on sait que les plus courtes sont les meilleures), la démonstration que l’on alambique par défaut alors qu’un petit dessin vaut plus qu’un long discours……
On charge la longueur, le développé, de lourdeur et d’ennui…Et de parer le bref de toutes les qualités et de célébrer le court dans toute la diversité des disciplines dont il relève : histoire littéraire, histoire des idées, rhétorique, stylistique, poétique. Des fragments d’Héraclite aux aphorismes de Cioran, de l’épigramme à l’anecdote, de la sentence à l’apophtegme, du madrigal à l’impromptu, de la devise à la maxime, de l’adage à l’emblème, de la saillie au trait, du proverbe à la citation……
Désignons la forme brève des textes par le terme générique de « fragment » (ce qui est, avouons le, hors l’apparence, une approximation grossière ! ). Cette forme dite fragmentaire a été illustrée par maints auteurs : Pascal, La Bruyère, La Rochefoucauld, Chamfort, Voltaire, Nietzsche, Novalis, Valéry, Ponge, Blanchot, Butor, Baudrillard,….Et combien de poètes !!!Certains de ses détracteurs n’ont pas hésité à l’utiliser : La Bruyère, Mallarmé, Quignard,..D’autres en dénonçant sa légèreté, sa futilité, la condamne au salon, au boudoir ou au comptoir. Tout l’art du tissage se retrouve dans la passementerie, de la sculpture dans la ciselure.
Tentons une typologie (fragmentaire !) du fragment. Le «FRAGMENT-TRACE » : arrachement mnésique à l’Histoire enfouie, au Livre perdu, à la Lecture oubliée – surgissement du souvenir, éclat et brillance enchâssés dans les strates du Temps. Page extraite de ce grimoire plus chironné d’artisons que châtaignes en décembre. Une phrase proustienne surlignée. Tables Claudiennes ! Miroir polyédrique dans la bibliothèque. Découpe du projecteur ou du rétroviseur….. Le « FRAGMENT PRE-TEXTE » d’une œuvre promise, bribes du futur, chevêtre et moellons, notes et croquis, Ebauche du Livre à venir. Fagotage de Montaigne….. Le « FRAGMENT LITTERAIRE » n’est pas fragment par accident mais par essence et sous contrainte volontaire, il condense et concentre et son inachèvement renvoie à une intention, il sollicite le lecteur. Nietzsche voyait dans l’écriture fragmentaire une sorte de déclencheur, de catalyseur, d’autres ont évoqué la semence, le greffon proposé à l’ente.
L’écriture comme la lecture pratiquent le discontinu et procèdent par séquences, interruptions et fractionnements, celle-là au cours de sa proposition et celle-ci dans son appropriation et les deux en un processus de création finalement partagée. L’écriture et la lecture sont l’une et l’autre lacunaires et fragmentaires, en quête de complétude. C’est ainsi qu’une deuxième lecture coïncide rarement avec la première et que dans le cas de lectures multiples et croisées nous pouvons saisir (être saisis par) des concordances fugaces, inattendues, brefs laps d’illuminations heureuses comme de fugitives interférences lumineuses.
Mais notre temps a le culte du rendement. La langue se doit d’être efficace, à la mesure des outils, des supports de la communication et à l’aune de l’économie débridée. Il ne s’agit pas tant d’être court que d’être rapide, réduit et réducteur….et triste de surcroît. « Plaisir et Jouissance » du Texto-SMS ? Késako !!!!!