Les suffixes -algie /-algique viennent du grec “algos”, douleur, ils forment une série qui énumère toutes sortes de douleurs, l’élément initial en indique le siège ; lombalgie (+lombes), cardialgie (+cardia)……
Le mot NOSTALGIE occupe une place à part, il se distingue par la règle de sa composition lexicale. Créé au XVIIème siècle (terme médical) il désigne “le mal du pays”, littéralement la douleur causée par l’envie de retourner chez soi (+nostos, retour), état de tristesse causé par l’éloignement du pays natal, du lieu habituel d’existence. L’élément initial n’est plus le siège de la douleur mais sa cause. La nostalgie en se généralisant implique la mémoire, le souvenir, d’un événement, d’un état heureux et la nostalgie désigne aussi le regret mélancolique, obsédant d’une chose, d’une existence que l’on a eue ou connue; désir d’un retour dans le passé, spleen, cafard. C’est la distance temporelle, son irréversibilité ainsi que la mémoire déformante, qui provoquent la nostalgie, douleur physique et morale, et parfois la nostomanie, ce besoin impulsif de retourner dans les lieux de son enfance, de sa jeunesse. Victime de l’inexorable, de l’inéluctable et du temps qui fuit, la Vie dans le rétroviseur est un mirage nostalgique, une construction mythique, une rétrospective de l’inachèvement, entre “neige d’antan” et “bon vieux temps”, tout juste bonne pour l’esquisse utopique, (le retour à la terre par exemple).
Récemment on pouvait lire dans la Presse, à propos de la campagne électorale américaine : «Le plus grand danger pour Hillary, confie son conseiller électoral, est de créer un sentiment de retour vers le futur», allusion à l’ombre portée du soutien de son mari, la nostalgie comme stratégie électorale. Plus grave, il faut évoquer le drame du Retour que vivent Juifs et Palestiniens et auquel assiste, impuissant, le Monde désemparé par la nostalgie mythique, la mémoire dévoyée et la guerre des archaïsmes. Nostalgie meurtrière. Nostalgie comme fondatrice de Propriété, d’Identité, de Droit. La Mort pour un Passé supposé ou composé.
Il n’y a pas que cette Nostalgie encombrée de regrets, de remords, de paradis perdus, il y a aussi une nostalgie positive, impulsive riche de bons souvenirs, de bonheurs vécus, dans laquelle on peut se complaire et distinguer le souvenir souriant et moteur, du noir mélancolique et inhibiteur. Pensons à ces anciens poilus qui, survivants d’une effroyable boucherie, sans renier l’enfer, savent retrouver ces instants, ces gestes d’Humanité, qu’ils ont aussi vécus. Actuellement en Allemagne, malgré les années de dictature communiste, bon nombre d’Ossies (ex-citoyens de la RDA) cultivent un sentiment d’«ostalgie» (nostalgie de l’Est, mot-valise composé de OST, Est en allemand, et nostalgie). Circuit touristique en “Trabant” à la clef ! ! Et que se passe-t-il actuellement en Russie ex-URSS ?
Il y a quelques mois, dans ces colonnes Michel Guet nous disait : «Avez-vous remarqué comme la déploration est en passe de devenir la principale activité politique ? Autrefois, (mais il ne faut jamais plus dire « autrefois » sous peine d’être immédiatement taxé de nostalgique), il y avait le militantisme, les grèves, le boycott, la manif, le sabotage, les affiches et même la nostalgie». Ainsi la nostalgie peut devenir aussi son propre objet,
Si Valéry savait «maintenant que nos civilisations sont mortelles», il avait découvert aussi (après avoir vécu 2 Guerres). que «le futur n’améliore pas toujours le présent, pas étonnant que la nostalgie soit devenue le mal du siècle».
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