D’abord, trouver conditionnellement, une parole, un logos, qui, déjà, ait travaillé à connecter les crevasses qui courent à travers le chaos spatial des variétés déconnectées. Ainsi, trouver le Tisserand, le Tisserand proto-ouvrier de l’espace, prosopopée de la topologie et des noeuds, le Tisserand qui travaille à recoudre localement deux mondes séparés, séparés, dit le mythe des autochtones, par un arrêt subit, la césure métastrophique accumulant les morts et les naufrages: la catastrophe. Ouvrier, dit Platon en ce discours où viennent au concours la dichotomie rationnelle et le mythe des deux espaces-temps, la mesure commune et le Tisserand, ouvrier qui démêle, entrelace, tord, assemble, passe dessus, dessous et renoue, le rationnel, l’irrationnel, savoir le dicible et l’indicible, la communication et l’incommunicable. Ouvrier de l’espace unique, espace de la mesure et du transport, cet espace euclidien de tout déplacement possible sans changement d’état, substitué un jour, royalement, aux multiplicités proliférantes de morphologies non liées. A pratiquer la dichotomie, ses chemins connectés, il faut savoir que ses coupures suivent et recouvrent le vieux récit mythique où les mondes sont déchirés par une catastrophe, que seul le Tisserand sait recoudre ou péut réunir. Alors et alors seulement naît la Géométrie et le mythe se tait. Alors le logos ou rapport se déploie, chaînes et réseaux, sur l’espace lisse du transport, qui remplace à soi seul le discours des parcours. L’homogène lié gomme les catastrophes,. et l’identité congruente oublie les homéomorphies difficiles. La raison, comme on dit, a triomphé du mythe; non, c’est l‘espace euclidien qui a refoulé une topologie sauvage, c’est le transport et le déplacement sans obstacles qui ont pris tout d’un coup la place du parcours, le vieux parcours d’îles en catastrophes, du passage à la faille, du pont au puits et du relais au labyrinthe.
Michel Serres “DIscours et parcours”, article dans “CRITIQUE”, Avril 1975, n° 335.