Quant à comprendre un tel succès du film ” Les Ch’tis”, la Tribune de Genève “se risque à deux hypothèses. Tout d’abord, ce film survient au moment où une grande partie des Français exprime son ras-le-bol devant le comportement de nouveau riche adopté par le président Sarkozy et son entourage. La valse des Rollex, yachts Bolloré, palaces avec belles en Prada incorporées leur porte sur les nerfs – surtout à un moment où nombre de ménages lorgnent avec angoisse le prix de l’entrecôte. L’autre hypothèse concerne surtout les élites parisiennes. Dans les années 1940 et 1950, le cinéma français célébrait la Provence et Marseille. L’accent de Raimu embaumait les salles enfumées de Paris. Et puis, la Provence a vieilli. Les retraités ont réchauffé leur âge à son soleil. Le vote Front national s’est répandu. Et c’est tout juste si, de Paris, le Sud était encore fréquentable.” Merci au Courrier International.
Heuristique & Sémiologique
LES CH’TIS.
La machine
La paella
La Paella
Extrait de « Tohu-Bohu » de Richard Jorif chez Julliard
On s’installa devant la mer. Francisco Diaz, assisté d’un Jean Bournier attentif et docile, délimita un grand espace circulaire où il disposa l’un après l’autre les sarments de vigne; mais il n’était pas encore temps d’allumer le feu.
Tout l’équipage s’activait, aux ordres du marin espagnol. Jean-Marie Soreau coupait les poulets, Yves Ballière, les lapins (ah ! ah !) ; Frédéric Mops, marmiton chéri de Mamitate, écossait les fèves ; Antoine Pinchon éplucha les haricots verts, puis les tomates. Francisco Dias attendait que le maître queux brandît les allumettes.
L’honneur, sous surveillance, d’embraser les sarments revint au Prince, aussitôt acclamé. En même temps, le Portugais et l’enfant de Moulins mirent le feu aux points désignés afin que la chaleur fût exactement répartie. Francisco Diaz fit patienter les convives jusqu’au moment où les braises eurent atteint la vivacité requise.
Alors, deux marins apportèrent l’immense poêle à deux anses qui couvrit précisément l’espace circulaire; l’on applaudit.
Faisons grâce au lecteur, auquel on a mis les ingrédients sous les yeux – à l’exception, que l’on aura relevée, du riz, d’exigeante cuisson, du paprika doux et des stigmates de safran -, de lui détailler plus avant la préparation de cette paella valenciana que Francisco Diaz avait réservée pour une occasion solennelle. Toutefois, précisons qu’il manquait, et notre cuisinier s’en excusa, un condiment de choix – et de prix – pour que le plat fût absolument parfait: une douzaine de ces gros escargots de montagne nourris de plantes aromatiques qui confèrent à la paella véritable son goût à nul autre comparable.
Francisco Diaz surveillait la cuisson tout en gongorisant la romance de La mâs bella niñia / de nuestro lugar. Après chaque stance revenaient deux vers : Dejadme llorar / orillas del mar (Laissez-moi pleurer 1 au bord de la mer), que les convives, formant le cercle, reprirent sur le ton de l’imploration, bien qu’ils n’eussent le moindrement sujet de se lamenter.
Enfin, enfin, la paella princière fut déclarée cuite, et Francisco Diaz, précautionneux, couvrit le plat d’un drap blanc qu’il retira au bout de cinq minutes. C’était prêt.
Chacun se servit libéralement et s’assit à sa convenance afin que se répandît, selon le dire de Brillat-Savarin, «un esprit général de convivialité *»
L’Homme-déjà-là
Nous revient la charge, encore et toujours, d’avoir à faire la preuve du bien, la preuve du vrai alors même que la philosophie et sa sœur aînée l’histoire étaient censées doter solidement et définitivement les hommes des outils nécessaire à cela. Ces grands monuments de la connaissance patiemment élaborés ont-ils implosé, ont-ils été sabotés, désertés, débordés ?
Au-delà de toute réponse se pose au premier chef ce constat : celui de l’impossible transmission, plutôt celui de la transmission impossible devenue, sachant que l’impossible ne réside nullement dans la nature de la chose à transmettre mais dans la perte des conditions élémentaires à toute transmission. (Ce sont ces mêmes conditions qui rendent possible la contestation de l’Holocauste par les négationnistes, n’est-ce pas).
Soit l’impossibilité pour une chose d’apparaître sur l’espace public, puisque ce dernier — vecteur absolu de l’essentiel de la transmission n’est plus libre ni de droit ni de fait comme il le fut de façon immémoriale, mais depuis peu arraisonné par la technique, affermé à la marchandise, asservi à l’économie, saturé de ce qui tient lieu de savoir et connaissance : la communication. L’ensemble de ce phénomène je l’ai nommé ailleurs l’Infini Saturé. L’existence de cette pratique ancienne d’un espace public libre (qui prend source historiquement dans l’Agora athénienne), d’un espace public res publica, semble déterminer encore aujourd’hui — tel un formidable vestige archéologique —, nos schèmes mentaux, nos structures de langage et nos catégories morales alors même que ce paradigme, qui fut valide durant des siècles, est devenu totalement obsolète et inopérant à présent, balayé par le virtuel qui nous tient lieu de réel et… d’espace public ; nous l’avons vu pour le bien et le mal, le vrai et le faux mais cela vaut pour des choses aussi diverses que le savoir, l’art, la nature, la démocratie, la République, les Droits de l’Homme, l’idée de peuple, de classe, d’appartenance et je pourrais multiplier encore les exemples… Bien sûr, d’autres objets sur le marché des valeurs symboliques sont venus s’y substituer : le progrès, la technologie, les loisirs, l’humanitaire, la science, la vitesse, l’environnement, le paysage, etc. mais surtout — première et indépassable — l’économie triomphante.
Un de ces schèmes mentaux, celui concernant la transmission du savoir, des codes, des pratiques est à examiner de plus près ; ce dernier posait et pose encore comme responsable de la transmission le détenteur en chef, l’Homme-déjà-là : indifféremment l’ancêtre, le maître, le père ou le « vieux », etc. A l’autre bout le novice, l’apprenti, l’élève, le « jeune », nouvel arrivant en posture de demandeur est censé hériter de ce savoir, l’acquérir. On voit immédiatement l’importance du bon fonctionnement de ce couple, la survie des sociétés — voire : des civilisations dont il est finalement l’essence du processus —, en a dépendu pendant des millénaires. Si nous sommes encore là, c’est qu’il a dû fonctionner longtemps, chacun des acteurs s’étant évertué à rester à sa place et à jouer correctement son rôle. Ce schème gouverne encore nos habitudes alors même qu’il est tombé en désuétude. Principalement pour la raison suivante : coté amont (l’Homme-déjà-là), le détenteur responsable de la transmission s’est démis de la plus grande part de ses responsabilités sur des « médias » pris au sens premier : moyens. Erreur fatale et grand sacrilège ! Ces médias qui furent et sont encore un terrain privilégié de la technique se substituèrent progressivement à l’Homme-déjà-là, c’est-à-dire à la Parole, c’est-à-dire à la médiation directe. Coté aval (jeune) il s’en suivit ce qui devait s’en suivre, par essence demandeur de Parole — c’est aussi sa condition de survie —, il va la chercher là où elle se trouve : sur les médias, sur l’espace public porteur ; fi, du même coup, de la médiation directe. Or il ne trouve que l’insignifiant bavardage de l’Infini Saturé, et cela il ne le sait pas et ne peut le savoir.
Bien. Il ne tient qu’à nous, me direz-vous, de le lui signifier. Certes, certes, mais c’est du boulot…
Il faudrait d’abord pour cela que nous ayons nous-même conservé cet héritage de nos pères, n’oublions pas que le processus ayant consisté à se départir de ce trésor au profit de médias est ancien ; si nous faisons abstraction de l’écriture pour nous en tenir à sa forme médiatisée majeure et première : le livre imprimé, cela date de cinq siècles ; du reste, livre comme presse présentaient hier encore les garanties d’une saine transmission… ce n’est qu’avec l’enchaînement photo-cinéma-télévision que se met progressivement en place sur l’espace public et envahissant l’espace privé la machine à décerveler d’Alfred Jarry. (Un détail reste qu’avoir hérité d’une parole ne garantit pas idéalement d’être capable de la transmettre, mais laissons ce point). Il faudrait ensuite que nous soyons nombreux à être en mesure de pouvoir effectuer cette transmission, or chaque année qui s’écoule voit se réduire le nombre de ceux qui pourraient maintenir ce cap, alors même que troisième et quatrième âge sont en passe de devenir la première classe d’âge. Face à lui (le « jeune »), face à nous (Hommes-déjà-là), se trouve la puissance d’une machine mondialisante qui compte de plus en plus d’acteurs et d’adeptes convertis, gagnés à la cause de l’Infini Saturé, imbus ô combien de ses vertus. Question d’échelle, l’Infini Saturé a placé la barre bien haut en matière de séduction, de visibilité, de ludique, de brillance, si haut que nul ne peut rivaliser avec lui sauf à y mettre des moyens semblables ce qui ira par définition à l’encontre de ce que nous cherchons à obtenir. L’Éducation Nationale par exemple — pressée — mais aussi empressée de faire bonne élève, s’est vite mise au diapason, précipitant ainsi son échec et le nôtre du même élan.
Enfin, dernier point et il me faut là inverser le jeu des responsabilités, il ne peut exister de transmetteurs que pour autant qu’il existe de demandeurs. Vu d’aval il est clair que le « jeune » n’est plus demandeur, il a plus qu’il ne désire sur l’espace public saturant : télé, ordinateur, Internet, images, publicités, musiques, vidéo, DVD, etc. Toutes les réponses lui sont donnés à ces questions qu’il n’a jamais posées ! Et en attendant d’avoir la panoplie à l’école, ce qui est en bonne voie, il l’a déjà au cœur de son espace privé, importée à la maison avec zèle et ferveur par l’Homme-déjà-là en personne ; j’ai affirmé plus haut que le « jeune » va chercher la parole là où elle se trouve, en réalité cela ne se passe pas tout à fait ainsi. Il ne va rien chercher du tout, ce n’est pas nécessaire car l’Infini Saturé vient à lui, il est conçu pour cela, il est conçu comme cela. Et que lui martèle jour et nuit l’Infini Saturé Grand Professeur ? Qu’il n’a aucun effort à faire pour être lui aussi — authentiquement — un Jeune-déjà-là.
C’est un schéma grossier, taillé à la serpe j’en conviens, il reste à nuancer mais l’essentiel est là, la règle est posée. À cette règle bien sûr il est des exceptions, lesquelles sont de peu de poids.
Surtout quand on a compris que se croire une exception est — de toutes les règles — la plus suivie.
Michel Guet
Les deux essences de l’écriture
Proposé par J.Y. CELERIAT de Saint-Etienne
Partant de la sculpture monumentale, totémique marquée de signes symboliques, cabalistiques, jusqu â l’ouvrage de poésie à la forme industrielle stéréotypée, en passant par tous les stades, glissements progressif de l’un vers l’autre et dans les deux sens (peinture, collages, graffiti, objet/livre, matières marquées d’écritures…) se situent les lieux de l’interpénétration spontanée ou réfléchie des créations plastiques et littéraires…
…Des manières différentes, probablement contradictoires pour chacun d’appréhender ce problème fondamental de la «transparence de l’idée» et de la «matérialité de l ‘écrit» avec sa dynamique qui lui est propre avec, à la charnière,
l’écriture
portant en elle ces deux essences,
l’une propre aux plasticiens
l’autre aux écrivains,
avec tous les effets interférents d’attraction ou de répulsion plus ou moins violents que cela suppose…
Vinay/Souchière
Extrait de la préface du catalogue des éditions « Atelier des Grames » 84190 GIGONDAS
Cyber-utopie
Cyber-utopie ou la société bouclée.
Consensus. Pensée plate. Interférence nulle. Résonance de la raison équitablement répartie et partagée. Battement 0 de l’unisson qui fait la force. Pas d’hyperbole, discours unique de la mise en phase . Plus de franges, d’aberrations, de diffractions.Convergence focalisée de la lumière monochrome et cohérente sur un monde prêt à imploser sous les pas enfin cadencés des pantoufles et des bottes.
Le diapason s’impose à la goutte d’eau sur la cloche sans timbre ni couleur, monotone dans un univers sans harmoniques et sans débords. Espace piégé, isotrope. Polarité des réceptions sans parasites. Onde claire que ne trouble ni l’agneau ni le loup.Pas d’interstices : où est le lacunaire, le fractal, l’epsilon ? Capteurs inutiles de signaux d’erreur insignifiants. Encéphalogramme plat de la machine « cleanique ». Tuner calé, accord parfait de l’airain et du plomb dont on fait les chapes d’ennui, du violon monocorde et du « la » synthétique. Exit la rhapsodie ! Les bouches en cul de poule ferment les voyelles et les paupières lourdes plombent les regards. La main ouverte se recroqueville derrière l’index pointé, déictique. Le chant s’étouffe et le geste se fige, exit le lyrique. Raideur de l’épine « doxale » mais la nuque se courbe au culte du convergent, du cohérent, du pertinent. Et l’on se tire par les cheveux pour s’aider à mieux sauter.
La ligne droite n’a que faire du différentiel. La « capitale » homothétise le « bas de casse » comme l’ombre portée de Thalès. Le train roule sur les voies euclidiennes sous un ciel sans arc après la pluie drue sur le plat pays.
Equarrissons le bois de la langue univoque et de la flûte monochromatique, polissons-le cent fois non sans lois. Pas de vagabondage, pas d’errance, pas de rêve sur l’itinéraire sans rocade, sans déviation ni traverse.Ebarbons le bronze de la « cloche de Gauss », du coup de dés le hasard est aboli, il est piégé par la statistique, trépan de la sonde d’opinions, racine pivotante sans radicelles de l’arbre sans rameaux . Là où il y avait un buisson il y a un pieu fichu en sol stérile érodé selon les strates de la roche dure par le vent de la girouette bloquée. Homogénéité de la soupe savamment mixée où ne surnagent plus les carottes utopiennes de Gébé, anéanties par les cuissons répétées.
L’information augmente le probable, l’érige en certitude, accroche l’effet à la cause, soude les maillons dont pas un ne manque ; je vous le dis il n’y a pas de trous ! Là où il y a de la « self » mettons de la « capa », et là où il y a de la « capa » mettons de la « self » et des shunts, beaucoup de shunts pour amortir les étincelles, arrondir les angles et émousser les pointes. Mer d’huile, calme plat, « ça baigne » le long des côtes bétonnées et sur les archipels engloutis. La réflexion n’est plus que mimétique et tautoloqique (reflets), truisme et sophisme protégés par les barrières et les ceintures de sécurité sociologiques.
Ni Dieu, ni Maître, ni Big-Brother mais le SYSTEME DE CONTROLE HOMEOSTATIQUE et « rétroactionnaire ». Férulation et régulation.