Heuristique & Sémiologique
Outils de lecture
L’esperluette
De l’époque romaine au 16ème siècle, les scribes, copistes et autres scripteurs avaient recours dans l’exercice de leur Art, pour des raisons d’économie (de temps, de papyrus, de parchemin,..) à des formes abréviatives, une sorte de sténographie, la ligature de deux lettres consécutives en un seul tracé. Economiques, certes, mais souvent illisibles. La ligature des deux lettres e et t de la conjonction de coordination « et », telle ( ? ) que nous la connaissons, remonte à l’époque mérovingienne, sa forme se stabilise (à peu près) à la suite de l’avènement de l’imprimerie. A cette époque la plupart des ligatures, devenues inutiles disparaissent, seule perdure celle du « et », &, l’esperluette. (On dit aussi : l’éperluette).
Pourquoi ce joli nom d’esperluette ? Les explications sont nombreuses et souvent de fantaisie poétique. Adoptons l’explication de Grévisse : ce caractère était, pour l’apprentissage de l’alphabet, placé après le « z » :……X Y Z & . Intégré et distingué. Les écoliers ânonnaient : ..vwxyz « et puis le ète » ; ce qui a donné : « esperluette ». Pourquoi pas ?
Il y a dans l’esperluette une sorte de redondance qui satisfait notre nostalgie hiéroglyphique, à tel point qu’elle prend (en particulier dans la communication commerciale) la valeur emblématique du blason expressif de sa devise, du logotype de son slogan. Peaufinée, voire idéalisée par les siècles, sans aspérité ni aigu, tout en rondeur, volute et volupté (travail de plume plus que de burin) l’esperluette exprime l’articulation. A cette croisée du signe et du sens, ce pléonasme pictographique, iconograhique et idéographique, cette mimésis de l’écriture phonétique se lit, se voit, s’entend comme écriture de la notion de lien, de relation, de nœud, de lacs, d’attache, de boucle….souples !! Arthrologique !
La conjonction de coordination sert à lier deux mots, deux parties du discours, des propositions de même fonction…Le « et » joue ce rôle et d’une façon plus spécifique relie les termes de l’addition (1et1 font 2), les éléments d’une énumération (le père, la mère et leur enfant), d’un mélange (l’eau et le vin), de la simultanéité (il pleut et il vente), etc… Bref, au-delà de ces fonctions que la grammaire lui impose, la conjonction « et » peut proposer, suggérer, un rapport inopiné, commutatif et dialectique, sans préjuger du type de relation, qui le plus souvent est complexe. Un « chaud et froid » n’est pas tiède ! Elle peut ouvrir un champ, un domaine, posant plus de questions que donnant de réponses, conjonction de composition, elle est un déclencheur de réflexion. Elle se distingue en cela de l’alternative du « ou », de la causalité du « car », de l’implication logique du « donc », de l’exclusive du « ni », de la réserve sceptique du «mais »,…qui flèchent l’assertion. « Je pense donc je suis », « je suis car je pense », apportent une réponse, alors que « je pense et je suis » constate, interroge et provoque la réflexion. Là, il semble que l’esperluette, &, (et sa mimologie) représente la clef (pensons à la clef de sol !!) qui ouvre un intervalle de combinaisons, d’associations, de corrélations, d’interactions, d’interférences, d’oppositions irréductibles…. Il y a dans ce caractère comme une boucle de rétroaction systémique ! « Pouvoir & communication ». « Pression & volume ». « Oxygène & hydrogène ». « Le hasard & la nécessité ». « L’être & le néant ». « Le chêne & le roseau ». « Mode & tradition ». « Filiation & adoption ». « Le capital & le travail ». « Esperluette & invention »…
Ainsi que l’esperluette, l’arobase @ a sa place sur le clavier des machines comme elle l’eut jadis dans la casse de l’imprimeur. Arobase est le terme, @ le caractère qui désignent le « à », le « a », élément du latin « ad », marquant la direction, le but à atteindre (adresser, adjoindre, adduire,..). Ici, non pas la trace fossile d’une ligature mais une fioriture, enveloppante spiralée, à laquelle on peut attribuer l’expressivité du mouvement centrifuge de la fronde qui vise une cible. L’image le dit, l’arobase est fonctionnelle, directive, univoque. Elle adresse, n’intéressant que le « préposé » du réseau pour la bonne orientation et la juste destination du courriel alors que « esperluette » rime avec « pirouette » et la mime ! Ici on est moins sérieux mais plus créatif !
Gargantua jouait
Gargantua jouait……
[….] aux fleux, au cent, à la prime, à la vole, à le pille, à la triumphe, à la picardre, à l’espinay, à trente & un, à la condemnade, à la carte virade, au moucontent, au cocu, à qui a si parle, à pille : nade :iocque : force, à mariage, au gay, à l’opinion, à qui faict l’un faict l’autre, à la séquence, aux luettes, au tarau, à qui gaigne perd, au belin, à la ronfle, au glic, aux honneurs, à l’amourre, aux eschetz, au renard, aux marrelles, aux vasches, à la blanche, à la chance, à troys dez, aux talles, à la nicnocque. A lourche, à la renette, au barignin, au trictrac, à toutes tables, aux tables rabatues, au reniguebleu, au force, aux dames : à la babou, à primus secundus, au pied du cousteau, aux clefz, au franc du carreau, à par ou sou, à croix ou pille, aux pigres, à la bille, à la vergette, au palet, au iensuis, à fousquet, aux quilles, au rampeau, à la boulle plate, au pallet, à la courte boulle, à la griesche, à la recoquillette, au cassepot, au montalet, à ]a pyrouette, aux ionchées, au court baston, au pyrevollet, à cline musseté, au picquet, à la seguette, au chastelet. à la rengée, à la souffete, au ronflait à la trompe, au moyne, au tenebry, à l’esbahy, à foulle, à la navette, à fessart, au ballay, à sainct Cosme je viens adorer, au chesne forchu, au chevau fondu, à la queue au loup, à pet en gueulle, à guillemain baille my ma lance, à la brandelle, au trezeau, à la mousche, à la migne migne beuf, au propous, à neuf mains, au chapifou, aux ponts cheuz, à colin bridé, à la grotte, au cocquantin, à collin maillard, au crapault. à la crosse, au piston, au bille boucuet, aux roynes, aux mestiers, à teste teste bechevel, à laver la coiffe ma dame, au belusteau, à semer l’avoyne, à briffault, au molinet, à defendo, à la virevouste, à la vaculle, au laboureur, à la chevêche, aux escoublettes enraigées, à la beste morte, à monte monte l’eschelette,au pourceau mory, à cul salle, au pigeonnet, au tiers, à la bourrée, au sault du buisson, à croyzer, à la culte cache, à la maille bourse en cul, au nie de la bondrée, au passavant, à la figue, aux petarrades, à pillemoustard, aux allouettes, aux chinquenaudes……
Proposé par J.C. (LYON)
10 novembre 2005.
Sur la plage
Sur la plage…avant la déferlante.
C’est devenu rituel, l’été débute pour la presse littéraire, par un état des lieux, des études savantes sur la Lecture, les Lecteurs et le Livre, encombrés de statistiques, de classements typologiques ou topologiques, de tableaux comparatifs et de commentaires argumentés et circonstanciés. Bourdieu, Manguel, Pennac, de Singly, Lahire, l’INSSE, la BNF,……sont convoqués ainsi que des éditeurs, des libraires et des lecteurs. On s’inquiète du spectre de l’illettrisme mais on constate que la toile ne remplace pas le papier, on s’alarme de la mainmise économique sur l’Edition et on se réjouit de la riche diversité de la Petite Edition, on s’étonne de la bonne santé de la Lecture et de la résistance du codex aux assauts de l’Ecran. Alors que le marketing crée des évènements et des phénomènes éditoriaux l’intérêt grandit pour les « différents », diffusés par les « bonnes librairies ».
De nombreux magazines conseillent des livres d’été. Cette notion de « livre d’été ou de vacances » est-elle pertinente, qui aurait une place réservée dans le sac de plage ou sur le chevet du randonneur harassé ? Le livre d’été se distinguerait-il par sa dimension, son contenu …sa légèreté ? On peut en douter, par contre la « lecture de loisir » se démarque de la lecture habituelle ; le « temps libre », le déplacement, le changement de rythme et de cadre, induisent une posture spécifique du lecteur qui retrouve une disponibilité donc une curiosité ouverte à la découverte.
Au-delà de l’anagramme, « lire » et « lier » c’est la même chose (même racine) tant il est vrai que lire c’est d’abord, étymologiquement parlant : choisir & assembler, cueillir & réunir. Lire c’est glaner, grappiller, composer un bouquet, un florilège, un herbier,…un « verbier ». Le « lire » dans ce qu’il implique de relation peut rigidifier par l’habitude, l’obsession, la prescription médiatique et enfermer dans un domaine, un genre, un style, un auteur, une époque, une école, une collection,….Il peut scléroser, durcir, étriquer comme un lacet de vieux cuir au détriment de ce qu’il implique de libre sélection et contrarier la gratuité, le plaisir et la créativité en réduisant la palette (réelle) du choix. Pennac reconnaissait au lecteur le droit de ne pas lire. Peut-être faut-il « délire » !!! C’est-à-dire rompre avec la prédilection, les affinités électives, la dialectique ratiocineuse, se déconnecter de l’habitus et s’ouvrir à l’éclectisme, voire s’encanailler. L’été, les vacances, le temps libre peuvent rendre à la lecture la surprise, l’occasion, l’accidentel, et permettre au lecteur d’échapper au profileur des études statistiques, au Livre secouant le carcan de la collection de résister au sac et ressac de la grande déferlante de la Rentrée littéraire qui va balayer les plages de nos fantaisies estivales.
Petite geste de la main
Petite geste de la main.
« Quand dire c’est faire » . Et si l’on retournait la proposition performative d’Austin : « Quand faire c’est dire » ! De même que là, le dire n’épuise pas le faire, ici dans le miroir, le faire n’épuise pas le dire, reste le paradoxe provoquant de l’investissement dans le domaine du langage du « faire », du fabriquer, de l’agir. « Main à la plume vaut main à la charrue » proclamait notre romantisme du 19ème siècle. Ce n’est ni une préséance, ni une prévalence qui sont ainsi revendiquées mais bien une équivalence. L’écriture elle même est née sur les parois des grottes du paléolithique et son outil déjà montré, voir les « mains au pochoir » c’est les lire comme signature, affirmation de soi et du groupe, et aussi sans doute comme représentation magique de la naissance de l’Humanité. L’anthropologie émerge de la zoologie, avènement par chiro-génèse, pourrait-on dire !! La main accompagne sans doute les premières manifestations du langage articulé par illustration mimétique d’abord, symbolique ensuite, magique puis rituel. Elle a rythmé les danses incantatoires ou festives. Elle a aussi frappé pour chasser, défendre et , bien sûr attaquer. La main apparaît comme capable de transformer et d’informer la matière se dotant de celle-ci comme outil (prolongement et/ou substitut) : silex éclaté, pierre polie,.. houe, araire, varlope, gouge,..calame, plume.. Parce que symbolique, le geste de la main s’est impliqué dans la relation sociale, et chaque culture de ce monde l’utilise à sa façon, dans le cadre de la proximité communautaire, parfois comme signe de reconnaissance identitaire. La main se tend, s’ouvre à l’offre, se ferme en poing, effleure en caresse. Elle salue, accueille, implore, repousse ou condamne ; elle manifeste l’adoration, l’autorité, la servilité, le respect, la soumission, la rébellion…l’amitié et l’amour. Langue des signes qui s’affranchit de la parole et le Braille du regard en sollicitant le tactile….
Préférons les signes de la main à ses lignes. Admirons l’efficace com-préhension de ses doigts, du pouce « justicier » qui, seul s’oppose à tous les autres, à «l‘indicateur », à « l’obscène », au «lieur » et au « petit indiscret ».
Parce que maîtrisée et destinée, la main maîtrise et destine, selon Kant elle serait « la partie visible du cerveau », partie intégrante et non pas simple instrument. Les gestes du taillandier, du charpentier, du sculpteur, du relieur, du peintre, du calligraphe,…le prouvent, « à s’en mettre la main au feu ».