Brisure et continuité
Nous ne bouderons pas notre plaisir à lire “L’élégance du hérisson” (Gallimard) en dépit de sa position première au “Hit Parade” et malgré son “Prix des Libraires” Son auteure, Muriel Barbery est une authentique amoureuse de la Langue, elle nous invite à partager sa délectation et sa jubilation. Le personnage central du roman est une concierge ( femme de paroles et observatrice ! ! ) :
La Concierge évoque le souvenir d’un film japonais ” ..j’avais été fascinée par l’espace de vie japonais et par ces portes coulissantes refusant de pourfendre l’espace et glissant en douceur sur des rails invisibles. Car, lorsque nous ouvrons une porte, nous transformons les lieux de bien mesquine façon. Nous heurtons leur pleine extension et y introduisons une brèche malavisée à force de mauvaises proportions. Si on y réfléchit bien, il n’y a rien de plus laid qu’une porte ouverte. Dans la pièce où elle se trouve, elle introduit comme une rupture, un parasitage provincial qui brise l’unité de l’ espace. Dans la pièce contiguë, elle engendre une dépression, une fissure béante et néanmoins stupide, perdue sur un bout de mur qui eût préféré être entier. Dans les deux cas, elle perturbe l’étendue sans autre contrepartie que la licence de circuler, laquelle peut pourtant être assurée par bien d’autres procédés. La porte coulissante, elle, évite les écueils et magnifie l’espace. Sans en modifier l’équilibre, elle en permet la métamorphose. Lorsqu’elle s’ouvre, deux lieux communiquent sans s’offenser. Lorsqu’elle se ferme, elle redonne à chacun son intégrité. Le partage et la réunion se font sans intrusion. La vie y est une calme promenade, lors qu’elle s’apparente chez nous à une longue suite d’effractions…..”