” Plus chironné d’artisons que châtaignes en décembre ”
Heuristique & Sémiologique
Dictionnaire de l’Académie Française, 3ème édition, 1740.
Brisure et continuité
Brisure et continuité
Nous ne bouderons pas notre plaisir à lire “L’élégance du hérisson” (Gallimard) en dépit de sa position première au “Hit Parade” et malgré son “Prix des Libraires” Son auteure, Muriel Barbery est une authentique amoureuse de la Langue, elle nous invite à partager sa délectation et sa jubilation. Le personnage central du roman est une concierge ( femme de paroles et observatrice ! ! ) :
La Concierge évoque le souvenir d’un film japonais ” ..j’avais été fascinée par l’espace de vie japonais et par ces portes coulissantes refusant de pourfendre l’espace et glissant en douceur sur des rails invisibles. Car, lorsque nous ouvrons une porte, nous transformons les lieux de bien mesquine façon. Nous heurtons leur pleine extension et y introduisons une brèche malavisée à force de mauvaises proportions. Si on y réfléchit bien, il n’y a rien de plus laid qu’une porte ouverte. Dans la pièce où elle se trouve, elle introduit comme une rupture, un parasitage provincial qui brise l’unité de l’ espace. Dans la pièce contiguë, elle engendre une dépression, une fissure béante et néanmoins stupide, perdue sur un bout de mur qui eût préféré être entier. Dans les deux cas, elle perturbe l’étendue sans autre contrepartie que la licence de circuler, laquelle peut pourtant être assurée par bien d’autres procédés. La porte coulissante, elle, évite les écueils et magnifie l’espace. Sans en modifier l’équilibre, elle en permet la métamorphose. Lorsqu’elle s’ouvre, deux lieux communiquent sans s’offenser. Lorsqu’elle se ferme, elle redonne à chacun son intégrité. Le partage et la réunion se font sans intrusion. La vie y est une calme promenade, lors qu’elle s’apparente chez nous à une longue suite d’effractions…..”
Méta-style
Méta-style.
Après avoir produit le texte “Style” (Webzette n°15, page “invention”) j’ai découvert, au hasard d’une relecture de “Vues” de Paul Valéry “La Table Ronde” un texte qui abordait ( avec un style bien meilleur que le mien !) la question du STYLE (1945). Je vous le propose :
STYLE, ce nom si pur de figure et de son… serait un nom charmant de quelque être choisi, d’un oiseau rare, d’un personnage de féerie. Il est d’entre ces noms dont la qualité musicale fait rêver d’un langage dont les mots sonneraient leurs sens. Mais non. STYLE, d’abord, fut un poinçon. Aux doigts des Vîrgiles, et des Tacites, il gravait sur la cire mince et noire des tablettes ces illustres vers, cette prose fameuse, dont une part nous fut con~ servée par miracle. Ce poinçon plus tard se fit plume, et la cire, papier. Mais avant même que la pointe dure et traçante l’eût cédé au bec souple d’une rémige taillée, le nom de STYLE avait passé de l’instrument à la main qui le mène, et de la main à l’être dont elle tient le mode et le pouvoir de faire tout ce qu’elle fait.Ces glissements successifs d’idée en idée sous le même terme développent insensiblement la poésie propre du langage.
STYLE signifie donc la manière dont quelqu’un s’exprime, quoi qu’il exprime, cette manière étant considérée comme révélatrice de sa nature, abstraction faite de sa pensée actuelle, – car la pensée n’a point de style. C’est dans l’acte de l’expression que la personne se marque. On y trouve ses rythrnes singuliers, les constances nerveuses de son caractère, ses ressources verbales plus ou moins originales, ses procédés familiers et ses entraînements ou ses réserves qui s’observent et se retrouvent dans la diversité de ses discours écrits ou parlés. Tout ceci fait son style. Mais, parmi tout ceci, n’oublions pas que se glisse et domine parfois, curieusement introduite et agissante, la faculté de dissimulation et de simulation.
Ce n’est donc point le seul esprit appliqué à une action particulière qui donne le style; c’est le tout d’un système vivant qui se dépense, qui s’imprime, qui se fait reconnaissable dans l’expression. Cela est mêlé de conscience et d’inconscience; de spontanéité et de recherche; parfois de calcul. Une reuvre ou une action peut être accomplie avec science ou vec art, et ne pas accuser de style. Une certaine négligence n’est pas ennemie du style; mais une attention, même excessive, est loin de l’exclure. chez les uns, la volonté perce, et dénonce l’énergie soutenue de leurs desseins; chez les autres, l’abandon se livre, et il est style; et il en est qui cultivent leur abandon, dont ils n’ignorent pas qu’il peut avoir valeur de style.
Mais la manière de faire caractéristique de quelqu’un, son style, n’est pas toujours louable. n y a de méchants styles. Quand ce mot est pris en bonne part, il dit quelque chose de plus que manière d’être ou de faire, et il n’est pas facile de préciser ce ” quelque chose”. Je crois qu’un beau style implique une sorte d’organisation de la singularité, une harmonie qui repousse l’excès de la fantaisie. L’extravagance la bizarrerie débordent le beau style. Le caprice non tempéré ne lui sied point. Tout le monde convient que le tigre est d’un tout autre style que le singe: il a des équilibres magnifiques; l’autre n’est qu’ins-
tabilité, gambades vaines, bonds sans but.
Le beau style doit faire songer à une loi très sensible, mais indéfinissable, qui relève le caractère trop individuel des actes ou des oeuvres et leur communique la dignité de type ou de modèle. Une personnalité prend alors l’intérêt d’un original, d’un exemplaire unique qui se distingue dans cette collection de semblables qu’est l’espèce humaine, comme un écart vers un idéal.
Rien n’est plus dénué de style que ce qui est le produit d’une fabrication mécanique ou imitable. Je déplore donc (mais il est trop tard) l’emploi de notre mot pour désigner une époque ou une école d’architecture ou d’art ornemental, car les styles de ce genre sont définissables et imitables; et il est arrivé que l’abus commercial de cet abus verbal nous a valu l’expression ” meubles de style” qui promet ce que l’on sait.
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Pour une théorie du choix
Je ne résiste pas à l’idée de vous proposer ce texte de Paul Valéry (Création artistique – 1928) :
“Il faudrait faire une théorie du choix et je ne suis pas capable de le faire. J’estime que le choix est proche parent de l’invention, et que la différence se réduit peut-être à celle du simple et du complèxe. Il y a choix, il n’y a que choix quand l’ensemble des possibles est un ensemble d’objets simples ou éléments définis par une seule qualité, que l’on peut rapporter à une gamme, comme les couleurs. Dans ce cas, nous cherchons à nous placer dans un état tel que notre décision soit automatique; nous cherchons à nous trouver une sorte de tropisme. Mais si les objets sont très complexes, il se fera un effort en nous pour construire l’état parfois inaccessible qui devrait aboutir à nous faire émettre, à tirer de nous une décision aussi immédiate que la précédente. Cet effort est semi-conscient, et il est invention.
Le style
STYLE
“Avoir du style, 7 règles d’or pour ne pas se tromper” …..Icônes de Mode ou anonymes, certaines femmes arrivent avec trois fois rien à avoir une allure folle. Ca s’appelle le style…” C’est ainsi qu’un magazine féminin consacrait (récemment) un n°spécial à la notion de STYLE. 200 pages parfaitement codées et normées par notre temps. En style branché et déraciné de la communication commerciale ! !
Le STYLE est un poinçon en métal, en ivoire ou en os, utilisé par les anciens, dès l’origine de l’écriture pour tracer leurs pensées sur la surface de la cire (Littré)…Il conservera cette valeur du pointu et de l’inscription. Puis par métonymie on a étendu le style, de l’outil d’écriture à l’écriture elle-même en ce qu’elle caractérise (syntaxe, vocabulaire, rhétorique) ce qu’une personne dit et surtout écrit. Pourquoi pas, nous disons bien d’un écrivain qu’il a une belle plume ! Il faut ici remarquer que l’on distingue une personne, par une étiquette ( même origine que style). Déjà au 14e siècle on qualifiait de “stylé” celui qui avait de bonnes manières. Le STYLE c’est la manière de procéder (14 ème siècle), de combattre ou d’agir (15e siécle), de s’exprimer (16 ème siècle), de traiter un sujet (17 ème siècle). Ainsi il y a de bonnes et de mauvaises manières (telles que définies par l’Etiquette de la Cour, par exemple) mais il arrive que celui qui veut être distingué, stylé à tout prix, en rajoute et en fasse trop ! On dit alors qu’il est maniéré et c’est là son étiquette !….
Au de-là des définitions innombrables ( plusieurs dizaines d’acceptions ) proposées par les dictionnaires, nous pouvons tenir pour essentiel que le style exprime la personnalité, sa nature et son caractère, son oeuvre, son aventure et son expérience incommensurable à toute autre. Le style transcende la catégorisation, bien que parfois il puisse manifester une tendance normative à travers la notion de modéle Le style c’est le particulier, le spécifique, il distingue, in-forme. Cette approche quasiment ontologique, enveloppant l’inflation sémantique qui le dévalorise ( par nos normes, et nos codes), lui restitue son rôle de distinction, d’individuation. L’art, la manière et le caractère certes , mais le “soi” et sa construction.
Il me plaît, en bonne rhétorique, de voir la polysémie du mot s’appuyer sur son étymologie, “étiqueter” et sa contamination par ester (verbe être) “se tenir debout” qui lui donne “consistance”, une manière d’être, “une identité remarquable” …donc un certain style ! !
On peut aller sur “Méta-style” pour trouver un texte traitant de cette question MAIS signé de Paul Valéry