Trop souvent dans l’analyse d’une oeuvre ou simplement d’un texte, le postulat de l’unité. du caractère total est subrepticement proposé, réduisant ainsi la complexité réelle, pour pouvoir mieux l’oublier. Ainsi se révèle une profonde méconnaissance du sens de la notion de condition ; est condition non pas ce qui est donné au départ, une cause originelle au sens empirique du mot, mais ce principe de rationalité sans lequel nulle oeuvre ne saurait être mesurée. Connaître les conditions d’une production, ce n’est pas ramener le processus de cette production à n’être que le déploiement d’un germe en lequel tout le mouvement du possible serait une fois pour toutes anticipé, dans une genèse qui n’est que l’image renversée d’une analyse; C’est au contraire mettre en évidence le processus réel de sa constitution: montrer comment une diversité réelle d’éléments compose par percolation l’oeuvre ou le texte, et leur donne consistance. Il en est ici comme de la condition humaine, de son évolution, de sa genèse qui ne saurait être réduite à une origine et fait la part belle à l’adventice et à la greffe.
Heuristique & Sémiologique
Les conditions de la consistance textuelle.
Écriture-lecture.
Agréger et discriminer ou le percolateur et l’alambic !
Écriture, outil de création
La transmission (répétition, reproduction, diffusion ..) par l’écriture s’enrichit de combinaisons entre points de vue divergents ou hétérogènes, de courts-circuits surprenants. L’écriture acquiert ainsi une dimension heuristique, favorisant les occasions de confrontations donc des opportunités de productions de savoirs nouveaux. Le paradoxe vient de ce que l’écriture dénomme, désigne, catégorise, grammaticalise et qu’elle induit chez le lecteur des chausse-trappes, des fausses interprétations, des associations, des approximations qui suscitent parfois des idées neuves, la lecture du monde exige une réécriture critique et discriminante, lire c’est élire, choisir.
L’écriture parce qu’elle abstrait, schématise, soulage la pensée phénoménale, organise la complexité et lui donne, parce que s’offrant aux échanges symboliques, accès à la réflexion, la méditation voire à la poésie? La lecture trie pour mieux relier, pour corréler, rapprocher, synthétiser, la relation entre les choses prend le pas sur la description? On cartographie plus qu’on analyse. Ainsi la percolation en ce qu’elle est un processus de complexification et de simplification s’impose comme modèle de l’écriture-lecture et le percolateur accède au rang de machine inventive, ….grammaticale, médiologique par excellence
On peut jeter un coup d’oeil sur la paillasse du labo et s’interroger sur la relation de l’alambic et du percolateur.
Qu’est-ce que la médiologie ? de Régis Debray.
“Élucider les mystères et paradoxes de la transmission culturelle – tel est le but de la médiologie.On s’efforce de comprendre comment une rupture dans nos méthodes de transmission et de transport suscite une mutation dans les mentalités et les comportements et, à l’inverse, comment une tradition culturelle suscite, assimile ou modifie une innovation technique.Le regard, plus généralement, porte sur les interactions technique/culture, au carrefour des formes dites supérieures de la vie sociale (religion, art, politique) et des aspects les plus humbles de la vie matérielle (usuels, banals, triviaux).La médiologie n’est pas une doctrine, ni une morale. Encore moins une «nouvelle science». C’est avant tout une méthode d’analyse, pour comprendre le transfert dans la durée d’une information (transmission). Non un domaine spécial de connaissance (comme l’est la sociologie des médias) mais, plus largement, un mode original de connaissance, consistant à rapporter un phénomène historique aux médiations, institutionnelles et pratiques, qui l’ont rendu possible. On se conduit en médiologue chaque fois qu’on tire au jour les corrélations unissant un corpus symbolique (une religion, une doctrine, un genre artistique, une discipline, etc.), une forme d’organisation collective (une église, un parti, une école, une académie) et un système technique de communication (saisie, archivage et circulation des traces). Ou, plus simplement, quand on met en ligne un dire, la façon de le dire et qui tient à le redire.Nombreux et multinationaux sont les défricheurs et précurseurs du champ médiologique entendu comme l’exploration du monde symbolique par le biais logistique : Victor Hugo («ceci tuera cela»), Walter Benjamin, Valéry, McLuhan, Walter Ong, etc. La médiologie s’efforce de donner cohérence, intelligibilité et prolongements aux intuitions des grands pionniers, pour contribuer à ce qui pourrait un jour ressembler à une écologie de la culture”. (Autorisation, Régis Debray).
Stiegler et l’économie de l’hypermatériel
Quatrième de couverture du dernier livre de Bernard Stiegler : ” Économie de l’hypermatériel et psychopouvoir” édité par les Éditions “Mille et une nuits”; Février 2008. Ce livre se fonde sur des entretiens avec les philosophes Philppe Petit et Vincent Bontemps.
Aujourd’hui nous vivons un nouveau stade de la longue histoire de l’évolution technique de l’humanité: le stade du capitalisme hyperindustriel.Depuis le xxe siècle, l’homme n’a cessé de vivre les bouleversements des conditions de la temporalité, c’est-à-dire aussi bien de son individuation. Ce nouveau stade induit déjà une profonde transformation de nos existences.
Loin de disparaître, l’industrialisation se poursuit et se renforce, elle investit de nouveaux champs, invisibles, qui vont des nanostructures jusqu’aux fondements neurologiques de l’insconscient, en passant par les biotechnologies: les champs de l’ hypermatériel, où la matière est toujours déjà une forme (comme au niveau quantique), où la forme est toujours déjà une information (c’est-à-dire un état transitoire de matière produit par un matériel) et où l’« immatériel” apparaît pour ce qu’il est : une fable qui enfume les esprits.
Bernard Stiegler formule à nouveaux frais les enjeux des technologies culturelles et cognitives, mais aussi des biotechnologies et des nanotechnologies. Elles ne vont pas sans péril pour l’humanité, pour le « devenir non inhumain}) de l’espèce humaine, comme il l’ écrit.
Demain, l’homme sera-t-il désemparé de lui-même, de sa conscience et de sa libido, ou saura-t-il exister avec les technologies de l’hypermatériel ?
S’il se laisse subsumer, s’il laisse son désit être capté par les puissantes machines et réseaux qui cherchent déjà à instaurer un psychopouvoir, l’une des conséquences pourrait bien être l’autodestruction du capitalisme, déjà bien engagé sur cette pente.
Bernard Stiegler n’est pas un technophobe. Il n’en est que plus autorisé à nous alerter.
Invention (de venire, ventus)
Le Percolateur pratique souvent cette sorte d’archéologie dans les origines, l’histoire des mots, l’évolution de leurs acceptions, en tentant de lire les dictionnaires, c’est-à-dire de préciser qu’elles peuvent être les intentions, les forces, les puissances ou les capacités d’action qui déterminent l’apparition d’un mot ou bien l’investissement d’un terme ancien par une idée neuve. C’est en cela que les dictionnaires témoignent : les acceptions s’y déposent en laissant les traces des intentions qui s’emparent successivement des mots ou qui s’y formulent simultanément et de manière concurrente.
Lisons Littré. L’invention y résulte du procès auquel correspond « inventer », que le dictionnaire définit comme l’action de Créer quelque chose de nouveau par la force de son esprit (sens 1), d’imaginer (sens 2), de supposer, controuver (sens 3). Littré fait ainsi valoir la précellence de l’idée de création, précisée par son caractère de nouveauté et rapportée aux capacités de l’esprit. L’invention est alors une faculté (« 1° Habileté d’inventer, disposition à»), puis le produit de cette faculté (« 2 L’action d’inventer ») et enfin l’« action d’imaginer » ou le « résultat de cette action »
Littré ne mentionne qu’ensuite les valeurs attendues selon lesquelles invention est un « Terme de rhétorique » défini comme la « Recherche et choix des arguments que l’on doit employer, des idées que le sujet fournit, dont on peut faire usage ». Mais le terme connaît une spécialisation esthétique (sens 4), selon laquelle il est un « Terme de peinture et de sculpture », désignant le « Procédé mental par lequel on trouve les images sensibles propres à exprimer le sujet aux yeux du spectateur, qu’il s’agisse d’une idée abstraite ou d’un événement vrai ». Littré précise que le terme « se dit dans un sens analogue en musique ». Dans ces formules, on rencontre deux régimes de tension : un clivage bien connu entre invention et création, et le problème moins souvent relevé de la saisie de l’invention selon qu’il s’agit d’une faculté (elle relève alors d’une psychologie) ou d’un produit (mais comment le reconnaître comme invention ?). Deux séries, elles-aussi opposées, achèvent l’article. La première concerne les acceptions pratiques, et très généralement péjoratives, qui veulent que « invention » signifie « moyen, combinaison », envisagés comme expédients rusés, trompeurs, artificieux, voire diaboliques . C’est dans le même ordre d’esprit que l’on passe au mensonge et à la feinte. L’invention est alors l’« Action de supposer, de controuver », le « mensonge » Sens 5.
Selon le Dictionnaire Richelet (Dictionnaire françois, 1680), l’invention consiste à «avoir trouvé ou à avoir imaginé quelque chose de nouveau»; si le verbe trouver renvoie au réel, imaginer renvoie au fictionnel. On reconnaît donc que l’imagination participe à l’invention, mais on se méfie de cette «folle du logis» (Malebranche, De la recherche de la vérité, De l’imagination, 1674-1675) qui peut conduire à la divagation et dégénérer en folie; ce sera donc sa «force» ou «subtilité d’esprit» (définie en termes de génie.
Furetière, Dictionnaire universel, 1690) qui guidera le poète et exercera un certain contrôle sur son imagination. Contrairement à l’abbé Batteux qui fait de la nature créée par Dieu le seul modèle de l’artiste (Les beaux-arts réduits à un même principe, 1746), Marmontel explique que l’objet de la poésie c’est aussi «ce qui serait dans l’immensité du temps et de l’espace, si la nature développait jamais le trésor inépuisable des germes renfermés dans son sein» («Invention poétique», Eléments de littérature, 1787). Si la nature impose des limites à l’imagination, on lui attribue toutefois une certaine puissance créatrice; l’imitateur n’est donc qu’un «froid copiste» alors que le poète, doté d’imagination, est un inventeur. D’une esthétique de règles et d’imitation, on passe ainsi à une esthétique de l’imagination; d’abord associée à la maladie, à l’erreur et à l’errance, l’imagination a désormais droit de cité dans le domaine artistique (R. Saisselin).
Action de trouver, de découvrir (une chose qui existe mais jusque là inconnue). Synon. découverte. L’invention d’un trésor. (Dict. XIXe et XXe s.). En religion catholique : Découverte d’une relique; fête qui en perpétue l’anniversaire. Invention de reliques, de la Sainte Croix.
Étymologie et Histoire. (TLF) extraits raisonnés :
Du latin : venire.
1. 1re moitié XIIe s. « trouvaille dans la façon d’agir, trouvaille merveilleuse, merveille » (Ps. Cambridge, éd. Fr. Michel, Canticum Ysaie, 5, p. 263 : faites cuneüdes en puples les sues invenciuns [adinventiones ejus]).
2. a) 1270 relig. le jor de l’invencion sainte Croix (Gondrec. I, 6, A. Meurthe ds GDF. Compl.); b) av. 1514 « action de découvrir quelque chose (en général) » (LEMAIRE DE BELGES, Couronne margaritique IV, 139 ds HUG. : linvention de ceste gemme).
3. « ce qui est inventé » a) 1431 péj. « fable, mensonge » (ds ISAMBERT, Recueil gén. des anc. lois fr., t. 8, p. 707 : inventions laidengeuses); b) ca 1501 « création, trouvaille littéraire » (Jardin de Plaisance, éd. de A. Vérard, fo 223 vo, reprod. S.A.T.F., t. 1);
4. « action d’inventer » a) 2e moitié XVe s. « action, fait d’inventer, d’imaginer » ici, en mauvaise part : substitution de Jacob à Esaü par Rebecca (Mistere du Vieil Testament, éd. J. de Rothschild, 12863); b) 1530 « action de créer, de découvrir quelque chose de nouveau » (PALSGR., p. 220 a); 1588 l’invention de nostre artillerie (MONTAIGNE, Essais, III, VI, éd. A. Thibaudet et M. Rat, p. 886);
5. 1595 « faculté de créer, d’imaginer » (ID., op. cit., I, XXVI, éd. citée, p. 174 : l’apprehension tardive, l’invention lasche). Empr. au lat. inventio « action de découvrir, de trouver, découverte (spéc. au Moy. Âge Inventio Sanctae Crucis [3 mai] « fête rappelant la découverte de la croix du Christ » ca 530 ds TLL s.v., 151, 70, v. aussi BLAISE Latin. Med. Aev.); faculté d’invention, invention, rhét.; action d’inventer.
Ne pas s’affoler ! Il suffit de choisir une acception pour l’inventer ! !