Heuristique & Sémiologique
Confirmation de l’encrassage de certaines touches de mon clavier ! !
DE LA SIGLAISON
Toute langue, tout langage obéit, entre autres, à une loi économique, d’efficacité et de rendement qui impose que le rapport : signifié/signifiant ou sens/expression (orale ou écrite) soit le plus grand possible. Si on considère que le numérateur est une donnée invariable, il convient d’agir sur le dénominateur donc de le réduire. On peut quantifier l’expression par sa durée, voire par le coût de sa “communication”. Ainsi s’explique le recours au lapidaire SMS qui se doit d’être le plus court, le plus concis, vite écrit, transmis et lu. Et bien sûr le volume d’encre, la surface du papier, le nombre de bits et de pixels, relèvent de cette quantification comme la loi du moindre effort ! En 1970 Robert Beauvais dans “L’hexagonal tel qu’on le parle” stigmatisait “ces mots plus gros que les choses” ( mauvais rendement). La langue anglaise est plus efficace (de ce point de vue) que la Française, un texte en Anglais est toujours plus court que sa traduction française. L’Américain parlé devient de plus en plus monosyllabique, ramassant le sens autour de la syllabe tonique, certains mots semblent aboyés ! En Français on conseille de préférer le mot le plus expressif à la périphrase dont Hugo (Les Contemplations) disait, paradoxalement, qu’il en avait tordu la spirale.
Quand le Français a émergé du Latin il a transformé des dissylabes en monosyllabes et des trisyllabes en dissyllabes, Toujours au nom de l’économie, au cours des siècles il a utilisé maints procédés pour “faire plus court” : réduction, abréviation, contraction, diminutif, mot-valise, .. et la siglaison !
La siglaison procède de la “réduction” graphique et phonétique dans la mesure où elle assure la présence des constituants d’un groupe de mots soit par la première lettre de chaque constituant, soit par une fraction syllabique (acronyme). Dans son principe le sigle, qui est d’origine Romaine, est d’abord graphique. Chaque lettre recevant l’appui d’une voyelle, est prononcée et constitue par conséquent une syllabe et le sigle, un mot (SOS, SNCF, CNRS, CGT…) dont le genre est le plus souvent celui du premier constituant. Parfois ce mot devient base susceptible d’affixation (cégétiste, faxer, refaxer, smicard, énarque,..). De toute évidence cette tendance à la siglaison s’est accélérée sous l’influence de “l’Anglo-Américain industriel et commercial” dès le début du 20 ème siècle puis avec l’avènement de l’informatique, de la Toile et de la mondialisation. Le Français compte plusieurs milliers de sigles, mais certains ont une vie éphémère : qui se souvient de JJSS, de l’UDR, de l’UDSR, de SIMCA,….? Chaque jour c’est par centaines que nous les trouvons dans la Presse, la Publicité ou sur les pavés ! Le sigle se construit sur de l’arbitraire, mais il arrive (et de plus en plus) que l’on distorde le groupe de mots pour que sa siglaison soit facilement prononçable, identifiable, mémorisable, logotypable, efficacité au “carré” !! Ne tenant qu’à une lettre, ayant rompu tout lien avec sa source, le sigle est de grande ambiguïté, ce qui explique tous les détournements dont il peut faire l’objet, et la nécessité pour le décoder de le rapporter à son contexte. “Pierre rejoint le PC”, s’il est militaire il rejoint le Poste de Commandement, s’il est militant politique il adhère au Parti Communiste, s’il se rend au” PC du PC” on dira au “QG du PC”, bien que la proposition initiale ne soit pas réversible ! “TNT”, si vous êtes chimiste vous traduirez par “composé de chimie organique; TriNitroToluène” ; si vous êtes artificier ou mineur, le TNT est un puissant explosif ; si vous êtes un stratège de l’arme nucléaire (nul n’est parfait ! ) la masse de TNT vous servira à chiffrer la puissance d’une bombe A ou H (ah ! ah!) ; si, plus prosaïquement, vous êtes un accro de la TV, pour vous TNT = Télévision Numérique Terrestre. Homonymie. Parmi les sigles d’origine américaine certains sont francisés avant siglaison : ONU, OTAN,… d’autres sont admis tels qu’ils nous arrivent : UNESCO, LASER = Light Amplification by Stimulated Emission of Radiations (adopté avec bonheur puisqu’on le décline très facilement en français)…etc, ETC.
Il y a, dans le sigle, comme un “trait”. Grâce à son économie graphique, il se trace rapidement, pointe, désigne, marque et souligne. On le graffite, on le tague ou on le dessine d’une main appliquée et précieuse. Grâce à son économie phonique qui ne garde que le saillant des initiales on l’épèle en scansion d’éléments caractéristiques, de traits distinctifs. Grâce à son ambiguïté il peut devenir sarcasme, trait d’esprit. Epigramme !
Il faut, de siglaison,
User avec plus que de raison.
Pour voir sous l’inscription,
De la loi mâtine
La sinistre injonction :
Courber Poliment l’Echine.
Le cru, le su et le voulu
Le cru, le su et le voulu.
L’un des débats de notre temps oppose Créationnisme et Evolutionnisme, réduit souvent à Croyance et Science. Le créationnisme relève d’une forme intégriste des religions monothéistes, d’une lecture simpliste,littérale de la Bible. “Enfantin ! ” disait Jean Rostand, et aussi ridicule que “la querelle du sexe des anges” ! Un créationnisme plus moderne est apparu récemment qui considère la création comme processus, comme “se faisant”, la Bible est lue comme métaphorique et symbolique d’une création “en cours”. Theillard de Chardin voyait l’Humanité en progrès vers une convergence transcendentale, accomplissement christique de la Création. Certains savants défendent ce point de vue qui a le mérite de concilier leur foi et leur savoir, la théologie est alors aussi une téléologie. On peut considérer que cette attitude n’est pas étrangère à l’Evolutionnisme qui se fonde sur la notion d’évolution comme “suite de modifications graduelles et continues susceptibles de régir le monde physique, cosmologique et vivant”. Darwin, évolutionniste (transformiste)s’intéressant à la biologie, conçoit une lutte pour la vie qui élimine les plus faibles, une sélection naturelle qui profite aux individus supérieurs et explique l’absence de solution de continuité et d’émergence brutale dans l’évolution des espèces. On a prouvé depuis, que les caractères acquis ne se transmettaient pas, il n’en reste pas moins que la notion de “sélection naturelle” étendue à la condition humaine s’est imposée, déformée et détournée en darwinisme social autorisant subrepticement et sournoisement les dérives de l’eugénisme, du racisme, du fascisme, …et de l’ultra-libéralisme. La raison du plus fort …La liberté du loup dans la bergerie…
On peut penser, à l’instar d’Elisée Reclus, de Darwin lui-même et de beaucoup d’autres savants, que l’on peut être évolutionniste sans adhérer à la notion de “sélection naturelle généralisée” dont la bannière trop souvent agitée devrait s’incliner devant celle de solidarité? N’est-ce pas une attitude réellement Humaniste (donc rationnelle) que de penser que l’Humanité est sortie (issue certes, mais aussi affranchie) de la jungle et de sa Loi, que de refuser l’alternative réductrice d’un obscurantisme moyenâgeux et d’un scientisme dévoyé, que de prôner une responsabilité solidaire et volontaire au sein d’une Nature dont nous partageons, l’origine, l’évolution et le destin ? Il en est de notre singularité ! Sauf à rebrousser chemin !
A propos de Gabriel Tarde
Gabriel Tarde. (1843-1904),criminologue,sociologue,philosophe.
J’ai découvert Gabriel Tarde, il y a une vingtaine d’années, dans “Mille Plateaux” de Deleuze et Guattari (ed. de Minuit) : …”Hommage à Gabriel Tarde (1843-1904) : son oeuvre longtemps oubliée a retrouvé de l’actualité sous l’influence de la sociologie américaine, et notamment de la micro -sociologie”….
Il y a quatre ou cinq ans, enfin, j’ai lu son oeuvre, éditée par “Les empêcheurs de penser en rond”. Je vous en cite un court extrait, (un peu au hasard, tant elle est importante et passionnante) :
“Il ne faut pas perdre de vue, d’une part, que le besoin d’inventer et de découvrir se développe, comme tout autre, en se satisfaisant; d’autre part, que toute invention se réduit au croisement heureux, dans un cerveau intelligent, d’un courant d’imitation, soit avec un autre courant d’imitation qui le renforce, soit avec une perception extérieure intense, qui fait paraître sous un jour imprévu une idée reçue, ou avec le sentiment vif d’un besoin de la nature qui trouve dans un procédé usuel des ressources inespérées.”
Gabriel Tarde systématise cette notion d’imitation et l’étend à tous les domaines, la sociologie, l’histoire des civilisations, des coutumes, des langues, des sciences, des techniques, du progrès social,… Ses outils sont l’archéologie (remontée dans le temps) et la statistique (influence du contemporain), avec, à cette croisée, non pas un mélange ou un compromis mais une composition, une combinaison, une complexification (comme le dirait notre temps !) qui enrichit l’héritage! Tarde nous paraît très moderne, à sa lecture on pense à Bernard Stiegler, le cardinal et le le calendaire, le synchronique et le diachronique,ou à la médiologie de Régis Debray.
Un détail qui me plaît beaucoup, Tarde statisticien voyait dans les graphiques, les diagrammes une sorte d’ECRITURE hiéroglyphique dont il avait une lecture rationnelle, productive et poétique !
Et il partageait avec Reclus cette idée d’évolution fondée sur la SOLIDARITE, moteur de progrès.
Vous avez dit WEBZETTE
Si j’ai bien compris vous avez formé le mot WEBZETTE à partir de gazette, comme les mots fanzine et webzine ont été formés à partir de magazine. Cette construction est parfaitement française (hormis la racine WEB, incontournable). Le suffixe diminutif “ette” est très caractéristique de notre langue, il réduit et l’ambition et la prétention. La webzette joue parfaitement son rôle.
Curiosité : Dans les domaines Français et Francophone, vous êtes le seul à utiliser ce terme (que vous avez créé) alors que dans le domaine mondial (anglo-américain) Google en trouve plus de 300 ! Bravo pour ce mot et le concept qu’il désigne.