La littérature autobiographique ou simplement biographique décrit souvent cet instant aussi inattendu que solennel où, pour un écrivain, tout a “basculé”. Des scènes de ce genre sont également présentes dans la littérature de fiction, mais le respect de l’archétype initial, laisse alors penser que l’écrivain puise certainement dans son expérience personnelle. En effet, qu’il s’agisse d’une crise de mysticisme, d’une inspiration littéraire ou philosophique soudaine, les situations décrites et les modes d’expression sont fréquemment les mêmes et l’on pourrait peut-être tracer les grandes lignes de cette expérience personnelle bouleversante :
–Une disposition mentale, voire physique, souvent particulière (fatigue, moment de doute ou de renoncement, de crise personnelle).
–Un cadre, des circonstances nécessaires (la nuit… ou la chaleur et le soleil accablants ; souvent un détail anodin, un objet, sert d’élément déclencheur).
–Une expression littéraire particulière : lexique de l’enthousiasme ; champ lexical de la lumière, du feu ; hyperboles nombreuses ; registre lyrique etc. Toutes les ressources stylistiques sont mises au service d’une expression paroxystique : comment exprimer l’indicible ?
On peut rappeler pour illustrer ce phénomène quelques exemples
Saint Paul et son “chemin de Damas” :Actes des apôtres, Un texte fondateur…*
Blaise Pascal, La nuit de feu.23 24 Novembre 1654
*René Descartes : la soirée du 10 novembre 1619 –.
*Rousseau, Les Confessions, récit de son “Illumination deVincennes”.
*G. Flaubert, L’Éducation sentimentale, : F. Moreau découvre sa vocation.
*Mallarmé,doit se ressaisir radicalement et “chanter en désespéré “Ce ressaisissement, c’est au plus profond de la « nuit d’Idumée » qu’il va l’opérer, c’est-à-dire dans les nuits glacées de Tournon où il travaille à la genèse d’Hérodiade, à partir de l’automne 1864.
*Nietzsche prétend « casser en deux l’histoire du monde », un écrivain majeur est celui qui porte en lui « l’exigence d’une absolue césure »; il convient que celle-ci se marque dans le récit qu’il fait de sa propre vie….
*Valéry, :dans la nuit du 4 au 5 octobre 1892, au cours d’un violent orage, se retrouva au sein d’une crise existentielle. Cette dernière – connue sous le nom ‘nuit de Gênes’ – lui fit une telle impression , qu’il changea totalement de cap en matière d’écriture: il arrêta d’écrire des poèmes. Aux alentours de 1898, il suspendit même presque toutes ses activités d’écrivain – peut-être à cause du décès de Mallarmé, qui était son maître et son modèle. Pendant près de vingt ans, Valéry ne publia pas un seul mot….
*Proust, Du côté de chez Swann : La petite madeleine, évidemment....! !
*Péguy, Jérimadeh”, la découverte d’une rime géniale…
*Claudel, La nuit de Noël 1886 et sa fulgurante conversion.
*Sartre, La Nausée : la découverte de « l’existant » grâce à la racine d’un marronnier :
“J’étais tout à l’heure au jardin public. La racine du marronnier s’enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c’était une racine. Les mots s’étaient évanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d’emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. J’étais assis, un peu voûté, la tête basse, seul en face de cette masse noire et noueuse, entièrement brute et qui me faisait peur. Et puis j’ai eu cette illumination.
Ça m’a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n’avais senti ce que voulait dire « exister ». J’étais comme les autres, comme ceux qui se promènent au bord de la mer dans leurs habits de printemps. Je pensais comme eux « la mer est verte; ce point blanc, là-haut, c’est une mouette, mais je ne sentais pas que ça existait,.[…]” (La nausée)
On peut consulter sur ce site INVENTIO……. VENIRE VENTUS