Le Percolateur

Verbe

 
 

Heuristique & Sémiologique

Verbe  (Je procède toujours quand j’écris par digression, selon des pas de côté, additions de suppléments, prothèses, mouvements d’écarts vers des écrits tenus pour mineurs, vers les héritages non canoniques, les détails, les notes de bas de page… (Derrida) )

Percolexique n°2

Author : Gilbert — 31 May 2008

Percolexique N°2

PER

Le préfixe PER est emprunté au préfixe latin per, qui a servi à construire des mots savants dans lesquels, outre le sens de « à travers » et « pendant », il peut introduire l’idée d’intensité et d’excès
1 – PER a une valeur spatiale : perfolié, perlingual, percutané ( Qui se fait à travers la peau)….
2 – PER a une valeur temporelle. signifie « de bout en bout, de part en part » comme dans : peropératoire qui doit se produire pendant toute durée de l’opération.
Ces deux dimensions de ce préfixe nous intéressent dans le Percolateur dans le mot comme dans la fonction.
Notons parmi les innombrables mots formés avec ce préfixe : perspicace, perception, pérégrination, persister, percuter, perdurer, pérenniser, perpétuer, pertinent, perturber, … qui ne sont pas éloignés du domaine percolateur ! Le rapprochement avec le préfixe “trans” est souvent possible.

COULER

“Du latin “colare”, passer, filirer. Se déplacer, se mouvoir naturellement (par gravité), ou sous l’effet d’une autre force, pression par couloir, colateur ou percolateur. Il faut ici faire référence à “ce qui coule” les liquides certes mais aussi les solides fragmentés, le sable, la neige, le pulvérulent… aux couloirs d’avalanches et aux coulée de boue…! Le vocabulaire des fluides et de leur dynamique intéresse la percolation : flux, fluence, confluence, influence, porosité, étanchéité, hermétisme, infusion, perfusion, les bassins de rétention,… ainsi que le lexique de la “duction”, production, induction, introduction, déduction, transduction, traduction …, Le clepsydre et le sablier nous rappelleront toujours que le flux déterminant est le TEMPS.

PERCOLER, PERCOLATION, PERCOLATEUR. (Extension métaphorique)

✱Le percolateur pour Littré est un appareil qui sert à filtrer.

✱Pour Le Robert : Percoler c’est circuler au travers d’une substance (20 ème siècle) vient de “percolare, percolateur”

✱TLF : Percolation Circulation d’un fluide à travers une substance par la pression.

Pour Noëlle Batt ( TLE Université de Vincennes) : “La percolation dans son acception générale et ancienne ‘ implique qu’une substance en traverse une autre et en ressort ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. C’est une opération d’intimité, discrète mais avérée. On ne peut la nier. Le résultat se voit. Les qualités de la substance d’arrivée participent à la fois de celles de la substance de départ et de ce qu’elle a traversé. Hybride donc”.
Ainsi en est-il de la pensée dont la progression souvent latérale est l’occasion de percolation, plus comme composition, complexification, contamination que comme mélange ou simple addition. Certains spécialistes des sciences et technologies de la cognition ont évoqué, s’agissant de ces passages et échanges la notion de “fédération”, d’interférence, de nomadisme de concepts , de phénomènes de collaboration, de coopération, d’insémination, d’hybridation… Il est des génétiques forcément modifiées. ! ! !
On peut, me semble-t-il, la voie métaphorique étant ouverte donner une dimension épistémologique et ontologique à la percolation. Le concept d’habitus développé par Bourdieu peut s’approcher à cet éclairage. L’habitus est constitué en effet par l’ensemble des dispositions, schèmes d’action ou de perception que l’individu acquiert à travers son expérience sociale. Par sa socialisation, puis par sa trajectoire sociale, tout individu incorpore (percolation) lentement un ensemble de manières de penser, sentir et agir, qui se révèlent durables. Et l’HISTOIRE, d’une façon générale et son parcours heurté, mais aussi la TRANSMISSION.

Dans un “Percolexique n° 3” nous jouerons avec le mot “Percolation”

Avez-vous lu le Percolexique N°1

Percolexique n°1

Author : Gilbert — 25 Apr 2008

Les mots du “Percolateur sont, bien sûr, ceux de la langue française, les meilleurs parmi eux, les plus expressifs, les plus polysémiques, les plus tordus, les plus ambigus. les plus élégants, le Percolateur n’hésite pas à recourir aux archaïsmes, fonds de commerce de notre vieille langue, héritée, de Rabelais, de Montaigne, et même de Vaugelas !… On remarquera que la modestie n’est pas la vertu cardinale du Percolateur, à tel point qu’il a recours à ce droit imprescriptible arrogeable par tout pratiquant de notre langue : la création lexicale, le néologisme, enrichissant ainsi l’arroi et l’aloi de la francophonie, un peu à l’instar des Québécois, des Belges, des Suisses et autres Africains malgré l’effarement du “prote” de service et de l’Académicien vert de frayeur.
Le Percolateur est d’ humble origine, certains habitués des paillasses diront “de basse extraction” kidnappé qu’il fut, derrière un bar, pour s’être fait remarquer très souvent par ses borborygmes, ses sifflements et autres grognements qui précèdent son expiration d’arômes suaves. Il y a du plaisir qui s’accroche à cette machine, du bien et bon vivre…”non ?”
La percolation (physique des fluides) est le processus d’écoulement d’un fluide dans un milieu obstaculaire. Le fluide peut être un liquide mais aussi par extension métaphorique (ou abus !) un flux d’ informations, de matière pulvérulente, de fragments de textes, d’électrons ou de particules, une foule humaine, une horde, un troupeau, une manif, les messages électroniques sur la toile, les informations, les idées nouvelles, l’éducation, l’Histoire, les Connaissances, les flux financiers, la construction de l’Avenir, le Progrès technique, les flux monétaires, les découvertes, les inventions, les Croyances et les Sciences. Grâce à son principe moteur, à sa fonction, la machine a de la Promotion, elle atteint au concept ! ! ! Remarquons (et ce n’est pas indifférent) qu’on lui fournit de l’énergie, et par gravité ou sous pression la fluence des particules hétérogènes et pulvérulentes Dans cette boîte noire, pas de chimie mais des compositions qualitatives, des difficultés de circulation et d’écoulement, des osmoses, des transferts, des traversées étonnantes, des inversions de sens, des cribles labyrinthiques et des critiques acerbes, des obstacles, des accidents, des rencontres aléatoires, des coups de freins, de l’aide catalytique, des boucles de rétro-action positive, ou d’asservissement, des systèmes moteurs ou inhibiteurs, accélérateurs ou ralentisseurs,…
Nous serons dans une autre webzette conduits à nous interroger sur la validité de la métaphore, sur la sémiologie du modèle et sur la pertinence linguistique du vocabulaire proposé ! ! ! Tout en nous gardant d’un sérieux excessif et pontifiant. !

On peut d’ores et déjà jeter un coup d’œil au labo

et voir le Percolexique N°2

Les conditions de la consistance textuelle.

Author : Gilbert — 13 Mar 2008

Trop souvent dans l’analyse d’une oeuvre ou simplement d’un texte, le postulat de l’unité. du caractère total est subrepticement proposé, réduisant ainsi la complexité réelle, pour pouvoir mieux l’oublier. Ainsi se révèle une profonde méconnaissance du sens de la notion de condition ; est condition non pas ce qui est donné au départ, une cause originelle au sens empirique du mot, mais ce principe de rationalité sans lequel nulle oeuvre ne saurait être mesurée. Connaître les conditions d’une production, ce n’est pas ramener le processus de cette production à n’être que le déploiement d’un germe en lequel tout le mouvement du possible serait une fois pour toutes anticipé, dans une genèse qui n’est que l’image renversée d’une analyse; C’est au contraire mettre en évidence le processus réel de sa constitution: montrer comment une diversité réelle d’éléments compose par percolation l’oeuvre ou le texte, et leur donne consistance. Il en est ici comme de la condition humaine, de son évolution, de sa genèse qui ne saurait être réduite à une origine et fait la part belle à l’adventice et à la greffe.

L’altération : accueil de la Greffe.

Author : Gilbert — 26 Nov 2007

Dans l’article : “Racines et Culture” je me réfère aux Grecs qui désignaient du même mot les notions de “greffé” et de “c!vilisé”. Cette assertion est assez étonnante pour que l’on s’interroge, que l’on gratte le badigeon pour découvrir le chevêtre. La racine indo-européenne “k*el” (quenouille) donne en grec : se trouver habituellement dans.., tourner en rond.. , mais aussi “polein” tourner et “polos” pivot vers colus en latin “colère, cultus “habiter, cultiver, à la campagne, fermier et colon vers “cultura” (Culture de la terre et Civilisation. Éducation = Maîtrise et dépassement de la Nature) L’homme civilisé (donc éduqué) c’est celui qui se greffe lui-même en vue de produire des fruits plus nourrissants et plus savoureux disent les Grecs. Le mot “greffe” du grec “graphein” = “écrire”, “graphé”= écriture, “Civilisation, Culture” s’opposent à “état de nature”, à “barbarie”, L’inscription se distingue par une incise de la matière, par l’adoption d’une altérité remarquable, son incorporation et son appropriation, Le coin dans l’argile, le stylet sur le papyrus, le burin dans la pierre, la plume sur le papier, le calame aussi, comme le scion (cet étranger) greffé sur l’arbre inscrivent pareillement la différence de l’écriture et du développement, pour une meilleure cueillette (même famille que lecture ! ) sur l’arbre (même famille que livre) de l’humaine connaissance.
Tout cela peut paraître un peu tiré par les cheveux, bien que rigoureux ! ! On voudra bien en faire une lecture métaphorique ou parabolique. Le Progrès est peut-être dans l’aitération au sens que donne Proust à ce mot : “…la Langue éprouve de temps en temps le besoin de ces altérations de sens des mots, de ces raffinements….”, l‘altération étant l’accueil de l’autre (alter), de l’étranger, de la greffe rapportée. Peut-être que, alors, pleins d’usage et raison , nous saurons, sans racinisme, mieux cultiver notre jardin. J’ai plaisir à penser, que de l’indo-européen : quenouille, qui désigne un des premiers outils de la civilisation ( seuls les barbares se vêtent de “peaux de bêtes”! ) au mot Culture, le lien est plus symbolique ou métaphorique qu’étymologique. Le mot “quenouille” a disparu comme désignant un outil mais il perdure sous la forme de “Culture”, manifestation et condition de la “Civilisation”.

Racines et Culture, pour une botanique critique !

Author : Gilbert — 7 Oct 2007

Racines et Culture, pour une botanique critique ! !

Il m’arrive de temps en temps de fouiller dans mes vieilles notes de lecture, fragments souvent difficiles à déchiffrer, bribes et citations…C’est ainsi que récemment j’ai inventé (parce que découvert) des notes et des photocopies de pages de livres dans une liasse de papiers que j’avais intitulée : “fondement et racines”, une centaine de feuilles qui peuvent peut-être alimenter mon “percolateur”, d’autant que j’y trouve une citation qui ne manque de me séduire (tant elle résume la notion de percolation) : “Chez les grecs le même mot signifie “greffé” et “civilisé “. Ce ne sont pas les racines qui comptent, mais les modifications qui leur sont faites de leur déterminisme, le changement introduit au niveau du tronc et des branches : pour des fruits différents. C’est aux fruits qu’on juge l’arbre pas au racines. Les racines c’est barbare….la culture est l’ensemble des greffons, des modifications du déterminisme des racines. Le racinisme d’aujourd’hui traduit une perte du sens grec de la culture.”
Et si parler de« racines» à propos des humains n’était qu’une méprise d’étymologie, une confusion des plantes végétales avec la plante des pieds? La plante des pieds ne prend pas racine comme une plante. Curieusement, la plante des pieds, dans la langue, a précédé la plante «végétale », qui est une création tardive du français. Aussi la marche à pied, pour le mot « plante », est-elle bien plus originaire que l’enracinement. La plante est d’abord des pieds, c’est-à-dire de la marche; puis elle donne « planter» : enfoncer avec le pied, tasser la terre avec le plat du pied, d’où « planter» au sens actuel; et finalement le mot passe à ces végétaux nés du plantage : du déplacement et du travail de la plante des pieds. La dignité de l’originaire étymologique est du côté du pied humain, et non du végétal ! Et on vient nous parler de « racines» et d’ « enracinement », nous dire que nous sommes des végétaux comme un emblème suprême de l’archaïque. Escroquerie! C’est le déplacement, la marche, le non-enracinement de la plante des pieds, qui sont fondateurs!
Le racinisme s’est exprimé dans la Révolution française avec une phrase idiote autant que célèbre: “On n’emporte pas la patrie à la semelle de ses souliers ” Ce qui est une diffamation caractérisée de la plante des pieds. Et qui est évidemment faux : quand les semelles des expulsés de la guillotine se réfugient dans les forêts de Germanie, on parle d’expatriés et d’ « émigrés» ; mais lorsque la dynamique de la Révolution propulse les semelles des patriotes jusqu’à Moscou, alors très bien! Quand il s’agit des adversaires, on dit : “anti-patriotes ! vous voyez, ils s’en vont ! “Quand il s’agit d’exporter la Révolution, on dit: “En fait je ne m’expatrie pas, car ma patrie, c’est le monde. ” Escroquerie. L’homme est cette plante qui se dépote elle-même et qui emporte tout à la semelle de ses souliers: la patrie et le reste.
Une méprise étymologique certes, mais surtout anthropologique, ontologique, un contre-sens conceptuel.

NB 1:Je n’ai retrouvé ni le titre du livre, ni le nom de l’auteur. A en juger d’après la position des documents dans la pile poussiéreuse, je pense que le livre date des années 1980 ? ( je suis demandeur d’informations ! )

NB 2 : On peut se rendre à la page : “le chêne et le rhizome” (encore de la botanique)

Plus nous chaut le sens que le signe.

Author : Gilbert — 12 Aug 2007

Plus nous chaut le sens que le signe.

Bernard Stiegler excelle dans l’exploitation des mots, de leur origine, leur histoire, leur contamination, leur perversion, leur ambiguïté ; une sorte de jeu sur la langue, mais un jeu créatif, catalyseur conceptuel. “Une nouvelle société industrielle doit être pensée, selon un autre modèle industriel, qui repose sur une socialisation des technologies dans la mesure où celle-ci saura cultiver à nouveau un otium du peuple ” On devine là l’allusion ( ! ) d’autant que dans la page précédente BS évoque le”pharmakon” drogue et remède de Platon, et l’addiction ! L’opium n’est pas loin ! Normal, comment traiter de la société industrielle sans penser à Marx, à l’évoquer sans l’invoquer ?
Les Romains, imitant en cela les Grecs, divisaient la vie en deux parties. Ils appelaient la première otium. Ce mot qu’il convient de traduire par loisir ne signifie toutefois pas absence de travail, mais temps libre, ouvert, occasion de s’occuper de ce qui est proprement humain: la vie publique, les sciences, les arts (tel que le préconise Sénèque). La seconde zone, caractérisée par les efforts nécessaires à la satisfaction des besoins vitaux —( et pour rendre ainsi possible l’otium )— les Romains l’appelaient negotium (nec, otium), indiquant par là, le caractère négatif de ces activités par rapport à celles qui portent sur les choses proprement humaines. Notre mot négoce est issu de negotium. Le mot otium conviendrait à une partie de ces loisirs: voyages culturels, lecture, action sociale, etc.; à l’autre partie, aux loisirs organisés, c’est le mot negotium qui conviendrait; ce sont des activités calquées sur le travail. Ici l’échange, le troc négocié, là le don, la gratuité, (le “hard” et le “soft”, “speed” et “cool” au dire de certains !). L’enrichissement n’est pas de même nature, le profit non plus. Le mot “négoce” se définit négativement, par “ce qu’il n’est pas”, son domaine n’est pas celui du loisir, de la disponibilité, Son sens, jadis, était celui de commerce (au sens actuel d’échange marchand) il s’est élargi de nos jours à la notion de transaction internationale à “très gros chiffre d’affaire” ! Quant à négocier, au delà de l’univers économique et marchand, le verbe étend ses notions de rapport de force, de stratégie, de dialogue, de discussion, de concession au débat social, politique, de la psychosociologie du groupe à la diplomatie internationale. Une de ses postures déterminantes est dans la façon d’aborder un obstacle, une difficulté, ce qui a donné métaphoriquement l’expression : “négocier un virage ou un bon accord” ! Comme si négocier en se socialisant avait pris du recul et négligé une partie du “neg” au profit de l’otium. Du négociant au négociateur !
Commerce et négoce, les deux mots, en notre temps, sont pratiquement synonymes à la différence de dimension et d’amplitude près,les deux appartiennent au domaine de la relation (essentiellement marchande, mais pas exclusivement), de l’échange.
L’étymologie de commerce lui confère une sorte de double destinée : com (du latin cum avec, en relation, en commun) et mercis (marchandises en latin ) Dans son sens usuel (économique) le commerce c’est l’activité qui consiste à échanger, vendre ou acheter, des marchandises, des produits, des valeurs, …ici on insiste sur le “mercis”, le “negotium “. Dans son usage archaïque, littéraire on insiste sur le “cum et l’otium”, là dans le domaine de la vie sociale on évoque le commerce comme relation sociale, amicale ou affective, fréquentation et partage entre plusieurs personnes . Dans le domaine de la vie intellectuelle, le commerce est l’échange d’idées, Proust parle de “tenir commerce d’intelligence et fines causeries …”, cela dit, on passe aussi du salon au boudoir et l’on chuchote le “commerce charnel” ou l’amour mercantile ! !
La notion d‘intérêt est ici déterminante avec son ambiguïté, c’est l’intérêt qui est le moteur de la relation, du commerce et qui en définit le domaine. Je veux gagner de l’argent, faire une bonne affaire , je suis intéressé et je fais du commerce, negotium. Je suis passionné par les discussions, la conversation, les autres et leurs idées m’intéressent nous faisons commerce, échange de points de vue et d’opinions, otium.
N’est-il pas oiseux (de otium, car inutile ! ) de s’intéresser tel un chaland à ce commerce des mots alors que la nonchalance nous ouvre loisir et oisiveté. “Oisiveté surtout, peu nous chaut” !

NOTE : Chaloir : Verbe défectif impersonnel = importer, intéresser.
Emplois en forme négative ou interrogative.
Ex : Il ne nous chaut.. = il ne nous importe, cela ne nous intéresse pas…

Méta-style

Author : Gilbert — 22 Jun 2007

Méta-style.

Après avoir produit le texte “Style” (Webzette n°15, page “invention”) j’ai découvert, au hasard d’une relecture de “Vues” de Paul Valéry “La Table Ronde” un texte qui abordait ( avec un style bien meilleur que le mien !) la question du STYLE (1945). Je vous le propose :

STYLE, ce nom si pur de figure et de son… serait un nom charmant de quelque être choisi, d’un oiseau rare, d’un personnage de féerie. Il est d’entre ces noms dont la qualité musicale fait rêver d’un langage dont les mots sonneraient leurs sens. Mais non. STYLE, d’abord, fut un poinçon. Aux doigts des Vîrgiles, et des Tacites, il gravait sur la cire mince et noire des tablettes ces illustres vers, cette prose fameuse, dont une part nous fut con~ servée par miracle. Ce poinçon plus tard se fit plume, et la cire, papier. Mais avant même que la pointe dure et traçante l’eût cédé au bec souple d’une rémige taillée, le nom de STYLE avait passé de l’instrument à la main qui le mène, et de la main à l’être dont elle tient le mode et le pouvoir de faire tout ce qu’elle fait.Ces glissements successifs d’idée en idée sous le même terme développent insensiblement la poésie propre du langage.

STYLE signifie donc la manière dont quelqu’un s’exprime, quoi qu’il exprime, cette manière étant considérée comme révélatrice de sa nature, abstraction faite de sa pensée actuelle, – car la pensée n’a point de style. C’est dans l’acte de l’expression que la personne se marque. On y trouve ses rythrnes singuliers, les constances nerveuses de son caractère, ses ressources verbales plus ou moins originales, ses procédés familiers et ses entraînements ou ses réserves qui s’observent et se retrouvent dans la diversité de ses discours écrits ou parlés. Tout ceci fait son style. Mais, parmi tout ceci, n’oublions pas que se glisse et domine parfois, curieusement introduite et agissante, la faculté de dissimulation et de simulation.

Ce n’est donc point le seul esprit appliqué à une action particulière qui donne le style; c’est le tout d’un système vivant qui se dépense, qui s’imprime, qui se fait reconnaissable dans l’expression. Cela est mêlé de conscience et d’inconscience; de spontanéité et de recherche; parfois de calcul. Une reuvre ou une action peut être accomplie avec science ou vec art, et ne pas accuser de style. Une certaine négligence n’est pas ennemie du style; mais une attention, même excessive, est loin de l’exclure. chez les uns, la volonté perce, et dénonce l’énergie soutenue de leurs desseins; chez les autres, l’abandon se livre, et il est style; et il en est qui cultivent leur abandon, dont ils n’ignorent pas qu’il peut avoir valeur de style.

Mais la manière de faire caractéristique de quelqu’un, son style, n’est pas toujours louable. n y a de méchants styles. Quand ce mot est pris en bonne part, il dit quelque chose de plus que manière d’être ou de faire, et il n’est pas facile de préciser ce ” quelque chose”. Je crois qu’un beau style implique une sorte d’organisation de la singularité, une harmonie qui repousse l’excès de la fantaisie. L’extravagance la bizarrerie débordent le beau style. Le caprice non tempéré ne lui sied point. Tout le monde convient que le tigre est d’un tout autre style que le singe: il a des équilibres magnifiques; l’autre n’est qu’ins-
tabilité, gambades vaines, bonds sans but.

Le beau style doit faire songer à une loi très sensible, mais indéfinissable, qui relève le caractère trop individuel des actes ou des oeuvres et leur communique la dignité de type ou de modèle. Une personnalité prend alors l’intérêt d’un original, d’un exemplaire unique qui se distingue dans cette collection de semblables qu’est l’espèce humaine, comme un écart vers un idéal.

Rien n’est plus dénué de style que ce qui est le produit d’une fabrication mécanique ou imitable. Je déplore donc (mais il est trop tard) l’emploi de notre mot pour désigner une époque ou une école d’architecture ou d’art ornemental, car les styles de ce genre sont définissables et imitables; et il est arrivé que l’abus commercial de cet abus verbal nous a valu l’expression ” meubles de style” qui promet ce que l’on sait.

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