Le Percolateur

Webzette n°11

 
 

Heuristique & Sémiologique

Webzette n°11  (Janvier 2007 )

Arbitraire et mimétisme

Author : Gilbert — 3 Jan 2007

Arbitraire et mimétisme.

La linguistique postule “l’arbitraire du signe”, la déconnexion du mot et de la chose ; la poésie en découvre des parentés, des analogies, des imitations. des complicités. Là, la rigueur de la science, ici, la fantaisie ludique du poëte. Il n’empêche que Saussure le savant s’adonnait subrepticement à des recherches sur ses anagrammes qu’il ne considérait pas comme sérieuses à tel point qu’il ne les a pas publiées ( elles ne le furent qu’après sa mort ). Certes “le mot chien ne mord pas”, ni le mot chat ne griffe mais le chien ABoie et le chat MIAUle ! Il y a de l’onomatopée bien sûr et souvent aussi de la mimographie (le V de vase). Souvenons-nous du léZard de Ponge sur son mur léZardé et son Zig-Zag furtif, ce mimétisme du mot et de la chose se manifeste tout aussi bien du point de vue phonique que graphique comme le S de serpent ou le T de table,

“Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes”, la fameuse allitération de Racine joue sur ces deux registres, ces serpents là on les voit serpenter et on les entend siffler. Il y a 2 ou 3 ans nous évoquions dans ces colonnes la nostalgie hiéroglyphique du Y de Lyon que nous imaginions comme trace étymologique voire ontologique du Confluent. Claudel voyait dans le mot locomotive la représentation même de la machine, de sa cheminée, ses roues, ses bielles jusqu’à son tender et son crochet. On sait que les deux orthographes ” lis ” et ” lys ” sont autorisées, d’aucuns préfèrent LYS voyant dans le Y la représentation hiéroglyphique ou pictographique de la fleur !

Induit par la phonétique et le graphisme il y a entre les voyelles < i > et < a > un rapport de dimensions ; du TIC au TAC, du “mini” au”maxi”, du “pico” au “nano”, du “micro” au “macro”, “d’ici à là”, du “petit” au “grand”, du site au panorama, du proche au lointain. On discrimine ou on amalgame ! Dans la monstration, la désignation, CECI n’exige qu’un doigt pointé alors que CELA implique un geste plus ample; dans l’effusion, le bisou est aussi pointu et parcimonieux que l’embrassade est large et généreuse, le bris est moins grave que le casse ! On peut aussi évoquer dans le lexique scatologique, enfantin ou euphémique le pipi et le caca ! Il faut, bien sûr, savoir raison garder, si la souris est plus petite que le rat et le chat, le grizzli est beaucoup plus grand et beaucoup plus gros que ceux-ci !

Dans tout cet arbitraire il y a tout de même certaines motivations qui paraissent s’imposer ; c’est le cas par exemple du phonème < ST > qui s’entend comme un mouvement léger qui vient buter contre un obstacle bref mais impérieux, la sifflante contre la dentale ! Le graphème illustre de la même façon cet arrêt et ce redressement brutal, la sinuosité mouvante contre la stabilité géométrique. Dans les deux cas c’est le T qui l’emporte et qui compte, le S le prépare, l’annonce, le met en valeur, l’érige. Statue, station, statut, stable, posture, stature, statu quo, instance, existence, stèle, obstacle, statique, substance, nonobstant, prestance, stade, interstice, stand, constitution, estrade, solstice, …… Bon nombre de ces mots ont pour ancêtre l’indo-européen : STA = “être debout ” ! Ce qui explique que nous les partagions souvent avec nos cousins anglais et germains. Stop ! !

La Lettre, le Mot peuvent se manifester comme expressifs presque naturellement. Le texte par contre, pour s’affranchir de la contrainte linguistique, rejoindre et figurer son sens, doit se soumettre à un parti-pris graphique de l’auteur, comme dans les calligrammes d’Apollinaire ou au talent (mimique) du comédien-lecteur. Le rapprochement des voyelles et de la couleur fascine légitimement les poètes : Rimbaud voyait le A en noir et Hugo en blanc, inconciliable, à chacun sa palette, la symbolique colorée des sons reste, semble-t-il, du domaine poétique personnel, rebelle. Les langues elles-mêmes n’échappent pas à la tentation de l’approche mimétique : le soleil produit les voyelles comme il produit les fleurs, le Nord se hérisse de consonnes comme de glaces et de rochers. L’équilibre des consonnes et des voyelles s’établit dans les langues intermédiaires, lesquelles naissent des climats tempérés. (V. Hugo) . Mais c’est un poète qui parle, pas un linguiste !

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