Ne déçoit pas qui veut. Dieu lui-même ne saurait revendiquer la toute-puissance en ce domaine. C’est toutefois à chaque fois qu’il a déçu qu’il a le plus donné à penser. Roland Barthes, on s’en convaincra par la lecture de ces notes de cours du Collège de France : Comment vivre ensemble comme par celle de ses ouvrages, ne suit pas la pente facile d’une pensée fluide, déployant méthodiquement, par son ordre scolaire et ses fausses clartés, l’illusion du savoir vrai, universel, impersonnel et anonyme. Il décevra donc les attentes de plus d’un lecteur. Déception salutaire pour le travail de la pensée. Et tout particulièrement quand il s’agit de réfléchir sur le Vivre Ensemble, thème qui concentre et précipite les utopies, les mystifications et les constructions idéologiques. Faire valoir ascèse et rigueur dans l’examen des formes de cohabitation possibles avec l’autre, c’est là, sans doute, toute l’ambition d’un orateur qui explore son sujet depuis les exigences intérieures qui le travaillent. Ainsi découvre-t-il, au détour d’une pérégrination intellectuelle autour des pratiques monacales du mont Athos, le mot qui lui permet de donner corps à l’idée, au fantasme qui l’habite, d’une proximité à l’autre qui ne soit pas distance d’avec soi-même (idiorrythmie). La richesse de son cheminement et tout le poids de son effet de vérité, Barthes les doit à l’enracinement littéraire de son propos. Du haut de sa chaire du Collège de France, il ne prêche, ne professe ni ne prophétise mais plonge dans notre culture pour faire remonter à sa surface les multiples manières dont la question du lien à l’autre y opère en-deçà des discours savants et rationalisants.
Ces “Cours et séminaires” au “Collège de France” furent édités en 2002 par les Éditions du Seuil.